Un Automne en Poésie Saison 6 (2014-2015) Troisième livraison

Poursuite de l’exposition « Un Automne en Poésie »

Les élèves de Seconde 8 et moi-même souhaitons dédier
cette édition d’« Un Automne en Poésie » à Sarah L. (†).

uaep_2015Illustration : Bruno Rigolt. D’après Eugène Delacroix, « La Liberté guidant le peuple » (Musée du Louvre-Lens)

Les élèves de Seconde 1 et de Seconde 8 du Lycée en Forêt sont fiers de vous présenter l’édition 2014—2015 d’« Un automne en Poésie », événement désormais incontournable qui marque comme chaque année l’actualité littéraire lycéenne. Puisant leur inspiration dans le message du Romantisme et du Symbolisme, les jeunes étudiant(e)s ont souhaité mettre en avant l’écriture poétique comme exercice de la liberté : liberté du rêve, des grands infinis ; liberté du cœur et des sentiments ; liberté aussi des jeux sur l’image et le non-dit, l’inexprimable, l’ineffable du mot…

Voici la troisième livraison de textes.
Chaque semaine, de nouveaux textes seront publiés dans l’Espace Pédagogique Contributif jusqu’au 21 décembre 2014 (dernière livraison).

Prochaine livraison : dimanche 7 décembre 2014

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Très loin d’ici

par Gwénaëlle B.
Classe de Seconde 8

 

Le temps est là
Il passe nonchalant
Comme le parfum d’une fleur
Je le regarde se faner
Dans le miroir de la vie.

Voici enfin le moment attendu
Où le soleil s’achève.
Je me sens attirée
Par un courant invisible qui m’entraîne
Vers les premières roses…

Ophelia_web_1John Everett Millais, Ophelia, Huile sur toile, 1851 (détail)
Londres, Tate Britain

            

                  

Des jours, la neige…

par Maïlys R.
Classe de Seconde 8

              

J’avance dans la forêt lointaine
Un ciel de neige rose a déchiré
Le souffle de mes larmes.

La montagne d’émeraude a recouvert
La peine  de mes yeux
D’un silence oublié.

Dans l’ombre qui tombe
Un oiseau s’est posé sur mon cœur
Pour y rester à jamais…

oiseau_coeur« Dans l’ombre qui tombe
Un oiseau s’est posé sur mon cœur…
 »

Crédit photographique : Bruno Rigolt

        

     

La Nuit, l’ombre du jour…

par Thibault G.
Classe de Seconde 1

                  

Le coucher du soleil me laisse entrevoir la nuit,
Si 
envoûtante là où le jour s’arrête, si belle, si mystérieuse.
La nuit nous aveugle jusqu’au matin,
La nuit chargée d’étoiles et d’encore et de toujours.

Elle nous fait apercevoir la lune ronde,
Pleine, rouge, quand s’éteignent les lumières,
Cette lune à l’ombre du soleil chargée de sanglots
Qui nous éclaire sur le mystère du monde.

Et puis la nuit s’achève, la vie recommence au fil du vent…

Felix_Valloton_Clair_de_lune_1« Mon chagrin s’étend comme les nuits étoilées
À des années-lumières, à l’infini.
.. »

Félix Vallotton, « Clair de Lune » (détail), vers 1895
Paris, Musée d’Orsay

Voyage parmi le dernier soir

par Guillaume B.
Classe de Seconde 8

                  

L’oiseau a décidé de vivre en volant, solitaire
Comme deux parallèles.
Mon cœur a décidé de mourir, si le tien monte au ciel
L’horloge du temps nous a séparés
Comme les mers d’autrefois.

L’automne est un grand voyage qui revêt les arbres de couleurs
J’ai vu changer les paysages mais tu vis dans mon cœur
Comme vivent les feuilles à l’aube des vents,
Comme le crépuscule aime l’océan
Au toit de sel et d’azur.

Le sphinx enneigé qui ne peut vivre que la nuit
M’a conduit à l’espérance d’un voyage
Les vents changeants ont rempli d’amour les saisons
À quoi bon vouloir la vie éternelle quand la mort nous appelle
Pour un dernier voyage vêtu de voiles bleus ?

magritte_le_retour« J’ai vu changer les paysages mais tu vis dans mon cœur
Comme vivent les feuilles à l’aube des vents… »

René Magritte, « Le Retour » (détail), 1940
Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

                       

                   

Les plumes qui portent la charge du monde

par Annik L.
Classe de Seconde 8

                 

Les plumes qui portent la charge du monde,
Les animaux malades
Les douleurs des enfants
Les souvenirs des garçons et
Les peines perdues des filles

Les plumes qui portent la charge du monde

Elles sont les objets magiques
Qui lavent les peintures des pensées.
Elles font ces services pour la reine du soleil
Bientôt le monde deviendra aveugle
Des rayons du bonheur.

Les plumes qui portent la charge du monde

Les pensées qui calment les personnes
Pour qu’elles se sentent moins seules
Les pensées qui guérissent les cœurs
Les pensées remplacent véritablement les plumes.

Les pensées qui portent la charge du monde…

Hartung_2« Les pensées remplacent véritablement les plumes.
Les pensées qui portent la charge du monde… »

Hans Hartung (sans titre, vers 1956)
encre de chine sur papier

 

              

Mélancolie

par Éric D. et Alexis B.
Classe de Seconde 8

                      

À l’horizon de mon cœur se trouve
La pureté blanche de l’ancien temps.
Je suis transporté dans un passé lointain

Couvert de trésors. La lumière bleutée de la mer
Me projette dans un cercle de couleurs
Aux reflets de bonheur infini :

Voici la beauté de tes yeux vêtus de ciel
Tes yeux qui se reflètent dans cet océan si profond
Devenu le jour et la nuit, et l’éternité.

Mais à la veille des temps modernes,
L’air et le vent sont devenus gris :
Voici la mélancolie, celle de ma vie.

Much_Mélancolie« L’air et le vent sont devenus gris :
Voici la mélancolie, celle de ma vie
… »

Edvard Munch, « Mélancolie », 1891 (huile sur toile)
Bergen (Norvège), Musée des beaux-arts

 

              

Combat d’un impossible amour

par Alexandre S.
Classe de Seconde 1

                      

Lorsque le jour éclot s’éclipse l’amour
Dans les décombres de mon esprit.
Mon cœur anéanti, brisé en mille sanglots
Se souvient de toi, quand tu murmurais à mon absence.

Ma vie sans toi est pleine de froid,
Un champ de bataille où j’ai déposé les armes.
À l’aube, tristement je m’assieds
En contemplant ton visage dans l’arrière-pays des cieux.

Bruno Rigolt Soir et la Mer_Digital Painting-2013 Copyright« Mon cœur anéanti, brisé en mille sanglots
Se souvient de toi, quand tu murmurais à mon absence
… »

Illustration : © Bruno Rigolt, août 2013 (Peinture numérique et photomontage)
Sources : Gustave Le Gray, « La grande vague » (1857) ; Aivazovsky, « Calme sur la mer Méditerranée » (1892) ; Modigliani, « Jeanne Hébuterne au chapeau » (1917)

Haïku contemporain

par Lou C.
Classe de Seconde 8

photographie_Lou_C_2014« Cet arbre vieilli, dénudé tel une femme… »

Illustration : © Lou C. (2014)

                       

                   

En ouvrant mon armoire

par Charlotte C.
Classe de Seconde 8

                 

Rentrée chez moi, j’ai ouvert mon armoire
Et tout au fond j’ai trouvé cette petite boîte,
Elle contenait le bonheur de l’enfance

Et des fleurs d’azur séchées par le temps.
J’ai soufflé sur le sable enfermé dans mon esprit :
Tout le passé s’est envolé…

La poussière provoqua dans mes yeux
Un spectacle de nuages. La lumière devint alors
Une colombe vers l’azur !

oiseaux-nuit_2013_a1« la lumière devint alors une colombe vers l’azur… »

Crédit iconographique : © Bruno Rigolt

La numérisation de la troisième livraison  de textes est terminée.
Quatrième publication de textes : dimanche 7 décembre 2014…

 

Licence Creative CommonsNetiquette : comme pour l’ensemble des textes publiés dans l’Espace Pédagogique Contributif, les poèmes des étudiant(e)s sont protégés par copyright. Ils sont mis à disposition des internautes selon les termes de la licence Creative Commons Paternité (Pas d’utilisation privée ou commerciale, pas de modification). La diffusion publique est autorisée sous réserve de mentionner le prénom de l’auteur, l’initiale de son nom, la classe, l’établissement ainsi que la référence complète du poème cité (URL de la page).

Analyse d'image : Caspar David Friedrich : "L'arbre aux corbeaux"… par Lucie B.

Analyse de l’image
 Travail collaboratif

Caspar David Friedrich :

« L’arbre aux corbeaux »

par Lucie B.
(Classe de Seconde 8, promotion 2014-2015)
 
Friedrich_Corbeaux_04

Lucie B. (Seconde 8, promotion 2014-2015) nous propose dans cet article de recherche son analyse du célèbre tableau de Friedrich, « L’arbre aux corbeaux ». Un travail de haute tenue intellectuelle que je vous laisse découvrir…
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Présentation

La crise des valeurs européennes à la fin du dix-huitième siècle donnera naissance au Romantisme, qui est une véritable rupture de civilisation, indissociable d’une transgression de l’institution littéraire, artistique et sociale. Né à la fin du dix-huitième siècle en Angleterre et en Allemagne, avant de se répandre en France au siècle suivant, ce vaste mouvement s’est en effet imposé comme une nouvelle vision de l’homme et du monde. Plus particulièrement, la peinture romantique devient la représentation des sentiments : « Peindre un paysage, c’est en révéler la profondeur spirituelle et subjective »|1|. Témoin « L’Arbre aux corbeaux » (Krähen auf einem Baum) de Caspar David Friedrich (1774-1840), œuvre très caractéristique du romantisme allemand.

Peinte vers 1822 et exposée depuis 1975 au musée du Louvre à Paris|2|, cette huile sur toile (H. : 0,59 m. ; L. : 0,73) représente un paysage sauvage et tourmenté du littoral de la mer Baltique, au Nord-Ouest de l’Allemagne : on aperçoit dans le lointain, sur la gauche du tableau, les célèbres falaises de craie du cap d’Arkona dans  l’île de Rügen, que connaissait particulièrement bien Friedrich. Cet environnement rappelait au peintre plusieurs souvenirs dramatiques, mais nous reviendrons un peu plus loin sur le caractère biographique et réaliste de cette composition.

Les dénotations de l’image

Le chêne, dont les racines plongent dans un tumulus surélevé —une tombe druidique— est le motif principal de la toile dont il occupe le premier plan. Dépourvu de feuilles, cet arbre frappe d’emblée l’observateur par sa « gestuelle » expressionniste : comme autant de corps déformés, ses branches tordues, dépouillées et sinueuses, accentuées par le rendu fin et précis ainsi que par le cadrage très serré de la composition lui confèrent un relief particulier qui semble presque l’isoler dramatiquement du contexte. Peint en effet selon un apparent protocole d’objectivité (plan rapproché, fond assez neutre et vue frontale), l’arbre mort accentue une lecture stéréotypée du paysage que confirment les autres éléments du tableau : on peut à ce titre noter des troncs d’arbres, des branches coupées ainsi que des souches aux formes inquiétantes qui jonchent le sol autour du chêne.

De même, les corbeaux dont il est question dans le titre sont effectivement présents, certains posés sur les branches de l’arbre, d’autres au contraire, en haut à droite du tableau. Ils semblent voler en tous sens, comme s’ils étaient les jouets de la turbulence du vent dans ce paysage hostile. On remarque également, au second plan, une petite colline derrière laquelle de vastes plaines paraissent s’étendre dans le lointain, jusqu’au rivage de la mer Baltique. Plus loin encore, les falaises escarpées de Rügen, associées à l’immensité du ciel matinal semblent les témoins de cette nature sauvage et libre, dont le caractère primitiviste en fait presque l’héritière des origines .

Les connotations de l’image

« La tragédie du paysage » : c’est par cette formule devenue célèbre depuis que le sculpteur David d’Angers qualifiait l’œuvre de Friedrich : « Le seul peintre de paysage qui ait eu jusqu’alors le pouvoir de remuer toutes les facultés de mon âme, celui qui a créé un nouveau genre : la tragédie du paysage ». La peinture de Friedrich  est en effet dominée par des paysages mélancoliques et hivernaux, comme « Matin de Pâques » (1833), mais aussi des endroits hostiles et périlleux (« Le voyageur contemplant une mer de nuages », 1818) ou encore des lieux immenses et déserts, ainsi que l’illustre  « La mer de glace » (1824). Même si cette peinture évoque le matin et l’arrivée du printemps, force est de reconnaître que c’est l’aspect tourmenté du littoral qui sollicite l’imaginaire du peintre : on y ressent la désolation et la solitude autant que l’expression pathétique de la souffrance et d’une certaine démesure.

Regardez l’arbre mort au premier plan : n’est-ce pas la sensibilité romantique, si réfractaire à « l’esprit de système » qui s’élabore ici ? Autrement dit le désorganisé, le chaotique, l’esthétique de la contradiction et de la confusion dans la dramaturgie du paysage. Rappelons en effet combien la sensibilité romantique, si elle exalte la nature à la fois confidente et consolatrice, n’en privilégie pas moins la fascination pour l’informe et le tourmenté. De fait, représenter un arbre mort ne relève pas d’un choix anodin : l’arbre paraît exsangue, comme s’il souffrait de la vieillesse au milieu de ce paysage désolé. Il faut en effet remarquer le caractère quasi anthropomorphique de l’arbre, représentation de l’individu solitaire investi d’une puissance qui le dépasse, et qui semble évoquer dans son agonie, l’angoisse de la mort individuelle et personnelle qui ne cessera de hanter Friedrich tout au long de son existence.

Une existence tourmentée

Friedrich a en effet porté toute sa vie le poids de plusieurs tragédies familiales. Encore enfant, il connut la mort de sa mère, puis celle de ses deux sœurs, et la noyade de son frère dans la mer Baltique. Ces décès l’ont profondément bouleversé, notamment celui de son frère, au point qu’il a éprouvé le besoin de faire de la mer l’élément principal de la majorité Caspar_David_Friedrichde ses œuvres. On comprend aussi l’autre raison pour laquelle Friedrich évoque ce vieil arbre désolé : comme pour exprimer l’extrême solitude qu’il éprouve depuis la perte des êtres chers.

← Caspar David Friedrich, Autoportrait, vers 1818

En opposition au ciel et au lointain, les signes de mort abondent en effet dans le premier plan qui n’est que friche, dessèchement et décomposition. Comme il a été très justement dit, « la mort dans les tableaux de Friedrich n’est pas seulement le contraire de la vie et la négation de celle-ci, mais une image du néant, dont les symboles sinistres et terrifiants s’ouvrent en abîme sur un mystère indicible »|3|.

De fait, la peinture se dédouble en un paysage intérieur comme Friedrich aimait le rappeler lui-même : « Le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit en face de lui, mais aussi ce qu’il voit en lui. S’il ne voit rien en lui, qu’il cesse alors de peindre ce qu’il voit devant lui »|4| : cette affirmation de Friedrich est essentielle car elle résume bien le nouveau rapport à la nature que va inaugurer le Romantisme : on peut parler ici d’une véritable dimension autobiographique du paysage, comme si le peintre se remémorait son vécu, ses souvenirs d’enfance à travers ce paysage balte qu’il connaît d’autant mieux qu’il a grandi à Greifswald, petit village de Poméranie occidentale bordant la mer Baltique.

Souffrance intérieure et révolte

Friedrich semble donc se représenter à travers cet arbre, qui est tout autant l’allégorie d’une profonde souffrance intérieure que l’expression hyperbolisée du moi romantique qui se pose au centre du monde dans une position de révolte et de défi, pour mieux le repenser. On pourrait voir en effet, de par les connotations primitivistes de l’arbre, une sorte de quête spirituelle et un certain côté antisocial du romantique qui se proclame seul existant, en proie au mal du siècle, ce sentiment de malaise et d’inadaptation par rapport aux bouleversements historiques.

Au premier plan, les branches cassées et les débris de bois que l’on aperçoit sont comme la métaphore d’une mort du monde, d’une histoire qui voue inéluctablement les êtres et les choses à la destruction et à la finitude. Le motif paradisiaque de l’arbre est en effet détruit au profit d’une sombre méditation sur l’Histoire, enfiévrée par le souvenir des deuils personnels et la montée du sentiment nationaliste en réaction aux guerres napoléoniennes. Cet arrière-pan politique|5|, qui inspirera à Friedrich un patriotisme radical, est suggéré par l’image du chêne qui plonge ses racines dans la terre dévastée comme pour Friedrich_Corbeaux_a1retrouver les racines de la nation allemande. C’est presque un champ de bataille qui est représenté ici à travers cet arbre qui semble avoir rendu l’âme au milieu de paysages et d’un monde voués à la mort inévitable et aux ténèbres. Le fait de représenter un vieil arbre laisse entendre aussi que ce dernier vivait depuis longtemps, qu’il avait été le témoin d’une histoire et d’un passé idéalisés —la nostalgie du vieux Reich et le retour des aspirations nationalistes au pangermanisme— reliques de la nature sauvage, originaire et primitive. On ne trouve d’ailleurs dans le tableau aucune présence humaine, ce qui accentue cette idée de retour en arrière,  intimement liée à l’expression d’un sentiment mystique.

« Le motif de l’arbre, très présent chez Friedrich, illustre parfaitement la conception du romantisme allemand : en dépit du léché de ses œuvres,  Friedrich rompt avec l’académisme […]. En effet, par analogie, nous sentons dans l’arbre circuler une vie, un processus de croissance et de dégénérescence s’y déroule. De même, l’arbre offre les métamorphoses organisées d’un univers auquel l’homme participe. À travers un réseau d’analogies, l’arbre figure aussi bien l’univers, l’homme que la communauté, le détail de sa structure —racines, tronc, branches, rameaux, feuilles etc.— fournit un ensemble inépuisable de significations symboliques qui permettent de passer de l’homme à la nature, de la nature à l’homme. L’homme comme l’arbre participent à la vie de la nature comme les parties d’un tout, le peintre révèle par ses tableaux le battement lyrique de l’univers. Les tableaux de Friedrich dissolvent les formes objectives dans des images hallucinatoires où se scelle l’alliance entre l’homme et la nature par la médiation de l’arbre. »

Robert Dumas
« La peinture de l’arbre à l’épreuve de la politique allemande »
in Jean Mottet (dir.), L’Arbre dans le paysage, Éditions Champ Vallon, Seyssel 2002, page 29.

Mort et transfiguration

Les propos de Robert Dumas que nous venons de citer sont éclairants : si l’arbre mort apparaît comme le signe d’un chaos originel, une fin, sa mort ramène paradoxalement au commencement : mort et transfiguration ; chaos, division et retour à l’unité originelle. De même, si le motif des corbeaux renforce la symbolique sombre et funeste de la scène, leur présence est néanmoins présage et manifestation spirituelle du passage de la mort à la résurrection. La dimension symbolique est ici évidente : Friedrich aimait à rappeler qu’il voyait Dieu en tout, et on pourrait en effet en appeler à la notion de sacré pour rendre compte de ce paysage  qui « n’est autre que la manifestation d’un moi absolu, exprimant la recherche spirituelle, et le dépassement par l’art de la condition humaine malheureuse et vulgaire »|6|.

Cette peinture contient en effet des touches positives, des lueurs d’espoir d’une vie éternelle, suggérées métaphoriquement par le lever du soleil et le ciel orangé, presque éthéré, de ce début de printemps. Ainsi qu’il a été très justement noté, « oiseaux noirs, feuilles mortes, souches aux formes menaçantes sont signe de mort et d’adversité ; le Friedrich_arbre_corbeaux-cielpaysage lumineux du fond, avec Arkona au loin […] évoque au contraire l’espoir chrétien de la vie éternelle »|7|. Reflet de l’au-delà, le ciel est à cet égard mis en valeur par la majeure partie de l’arrière-plan qu’il occupe dont l’immensité suffit à elle seule à suggérer l’abandon métaphysique de l’homme et l’aspiration à une sorte de pureté originelle, intimement liée à l’expression d’un sentiment mystique inspiré par la nature.

Le spectateur pense donc inexorablement à l’évasion, à l’envol, à la transfiguration. Qu’il nous soit permis d’évoquer ici ces propos signifiants d’Albert Béguin dans L’Âme romantique et le rêve : « Peinture profondément symbolique, où le paysage n’est jamais une unité refermée sur elle-même, mais comme une allusion à d’immenses espaces au-delà de ceux qui sont saisis par le peintre »|8|. Comme nous le comprenons, le romantisme est ainsi caractérisé par le rêve d’élévation, la recherche spirituelle, la quête ascensionniste de l’absolu, inséparable de celle de la mort.

Conclusion

Comme nous avons essayé de le montrer, « L’Arbre aux corbeaux » appelle une lecture allégorique, voire mystique du paysage, qui est d’abord un « paysage de l’âme ». Ainsi que le suggérait Christophe Genin, « cette manière d’exhausser religieusement le paysage lui confère sa dimension abstraite et non narrative »|9|. En tant que « méditation […] mystique sur le sens de la vie et de ses cycles »|10|, le tableau de Friedrich représente ainsi la violence de la nature dans l’idée d’une communion de l’homme avec le « grand tout », qui est un aspect clef du primitivisme romantique. Mais ce qui importe également dans cette peinture, et dans toute l’œuvre de Friedrich d’ailleurs, est l’exaltation de la subjectivité, autrement dit la relation entre le paysage extérieur et le paysage intérieur, le paysage de l’âme de celui qui regarde.

Le romantisme allemand illustré par l’œuvre de Friedrich nous amène en outre à différents questionnements sur la personnalité tourmentée des artistes de cette époque dont les œuvres expriment, à travers la peinture de paysages, la démesure de la passion, la révolte, l’exaltation du sentiment national mais aussi la part du rêve, la profondeur métaphysique et la dimension mystique. À ce titre, la solitude et la vie austère que Friedrich s’est imposé ont fait de lui un être profondément différent et replié sur lui-même. Gabrielle Dufour-Kowalska rapporte ainsi les propos tout à fait éclairants d’un contemporain du peintre : « L’atelier de Friedrich était d’un vide si absolu [qu’on] aurait pu le comparer au cadavre éventré d’un prince mort. Il n’y avait rien d’autre qu’un chevalet, une chaise et une table et, au mur, comme seul ornement pendait une équerre »|11|. Et sans doute cette austérité explique-t-elle selon nous l’importance de la solitude contemplative et introspective dans la peinture de Friedrich. Comme si l’expression de la solitude amenait le peintre à chercher en lui-même le secret de son destin…

© Lucie B. Lycée en Forêt, Classe de Seconde 8 (promotion 2014-2015)
Relecture, remarques complémentaires et coordination des informations : Bruno Rigolt

Notes

1. Voir cette page.
2. Musée du Louvre, Aile Richelieu, 2e étage, salle E. Pierre Rosenberg, dans son Dictionnaire amoureux du Louvre (Paris Plon 2007), raconte l’anecdote suivante : « Entre 1940 et 1945, L’Arbre aux corbeaux était exposé au Folkwang Museum d’Essen. Ses propriétaires, une famille juive qui avait émigré aux États-Unis, le récupérèrent après la guerre. En 1975, à la mort d’un des descendants, le tableau fut mis en vente à la condition expresse qu’il ne retourne plus en Allemagne. Peter Nathan (1925-2001), un marchand et collectionneur zurichois d’origine allemande, l’offrit en priorité au Louvre ». |source|
3. 
Gabrielle Dufour-Kowalska, Caspar David Friedrich : aux sources de l’imaginaire romantique, éd. l’Âge d’Homme, Lausanne (Suisse), 1992, page 75.
4. cité par Charles Sala, Caspar David Friedrich et la peinture romantique, Pierre Terrail, 1993, page 83.
5. cf. ce 
panneau didactique de l’exposition « De l’Allemagne, 1800-1939 : de Friedrich à Beckmann » (Paris, Musée du Louvre, 28 mars-24 juin 2013) : « Autour de 1800, se répand en Allemagne un discours romantique qui ménage au paysage « national » une place centrale, contre le classique paysage historique d’inspiration française ou italienne. Ce phénomène est évidemment renforcé, vers 1813, au moment des guerres de libération contre les armées napoléoniennes. Le terroir se charge alors de connotations patriotiques et le sentiment de la nature d’une dimension idéologique ».
6. Bruno Rigolt,  Analyse d’image : Caspar David Friedrich… « Le voyageur contemplant une mer de nuages ».
7. Voir cette page.
8. Propos cités par Jean Moncelon dans le site qu’il a consacré au peintre.
9. Christophe Genin, Images et esthétique, Publications de la Sorbonne, Paris 2007, page 72.
10. Pierre Rosenberg, Dictionnaire amoureux du Louvre, Paris Plon 2007.
11. Gabrielle Dufour-Kowalska, op. cit. page 10.
Sources utilisées dans cet article :

D’autres analyses d’image de tableaux de Friedrich sont consultables sur ce site :

Creative Commons LicenseNetiquette : comme pour l’ensemble des textes publiés dans l’Espace Pédagogique Contributif, cet article est protégé par copyright. Il est mis à disposition des internautes selon les termes de la licence Creative Commons Paternité (Pas d’utilisation privée ou commerciale, pas de modification). La diffusion publique est autorisée sous réserve de mentionner le prénom de l’auteur, l’initiale de son nom, la classe, l’établissement ainsi que la référence complète de l’article cité (URL de la page).

Analyse d’image : Caspar David Friedrich : « L’arbre aux corbeaux »… par Lucie B.

Analyse de l’image
 Travail collaboratif

Caspar David Friedrich :

« L’arbre aux corbeaux »

par Lucie B.
(Classe de Seconde 8, promotion 2014-2015)
 
Friedrich_Corbeaux_04

Lucie B. (Seconde 8, promotion 2014-2015) nous propose dans cet article de recherche son analyse du célèbre tableau de Friedrich, « L’arbre aux corbeaux ». Un travail de haute tenue intellectuelle que je vous laisse découvrir…
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Présentation

La crise des valeurs européennes à la fin du dix-huitième siècle donnera naissance au Romantisme, qui est une véritable rupture de civilisation, indissociable d’une transgression de l’institution littéraire, artistique et sociale. Né à la fin du dix-huitième siècle en Angleterre et en Allemagne, avant de se répandre en France au siècle suivant, ce vaste mouvement s’est en effet imposé comme une nouvelle vision de l’homme et du monde. Plus particulièrement, la peinture romantique devient la représentation des sentiments : « Peindre un paysage, c’est en révéler la profondeur spirituelle et subjective »|1|. Témoin « L’Arbre aux corbeaux » (Krähen auf einem Baum) de Caspar David Friedrich (1774-1840), œuvre très caractéristique du romantisme allemand.

Peinte vers 1822 et exposée depuis 1975 au musée du Louvre à Paris|2|, cette huile sur toile (H. : 0,59 m. ; L. : 0,73) représente un paysage sauvage et tourmenté du littoral de la mer Baltique, au Nord-Ouest de l’Allemagne : on aperçoit dans le lointain, sur la gauche du tableau, les célèbres falaises de craie du cap d’Arkona dans  l’île de Rügen, que connaissait particulièrement bien Friedrich. Cet environnement rappelait au peintre plusieurs souvenirs dramatiques, mais nous reviendrons un peu plus loin sur le caractère biographique et réaliste de cette composition.

Les dénotations de l’image

Le chêne, dont les racines plongent dans un tumulus surélevé —une tombe druidique— est le motif principal de la toile dont il occupe le premier plan. Dépourvu de feuilles, cet arbre frappe d’emblée l’observateur par sa « gestuelle » expressionniste : comme autant de corps déformés, ses branches tordues, dépouillées et sinueuses, accentuées par le rendu fin et précis ainsi que par le cadrage très serré de la composition lui confèrent un relief particulier qui semble presque l’isoler dramatiquement du contexte. Peint en effet selon un apparent protocole d’objectivité (plan rapproché, fond assez neutre et vue frontale), l’arbre mort accentue une lecture stéréotypée du paysage que confirment les autres éléments du tableau : on peut à ce titre noter des troncs d’arbres, des branches coupées ainsi que des souches aux formes inquiétantes qui jonchent le sol autour du chêne.

De même, les corbeaux dont il est question dans le titre sont effectivement présents, certains posés sur les branches de l’arbre, d’autres au contraire, en haut à droite du tableau. Ils semblent voler en tous sens, comme s’ils étaient les jouets de la turbulence du vent dans ce paysage hostile. On remarque également, au second plan, une petite colline derrière laquelle de vastes plaines paraissent s’étendre dans le lointain, jusqu’au rivage de la mer Baltique. Plus loin encore, les falaises escarpées de Rügen, associées à l’immensité du ciel matinal semblent les témoins de cette nature sauvage et libre, dont le caractère primitiviste en fait presque l’héritière des origines .

Les connotations de l’image

« La tragédie du paysage » : c’est par cette formule devenue célèbre depuis que le sculpteur David d’Angers qualifiait l’œuvre de Friedrich : « Le seul peintre de paysage qui ait eu jusqu’alors le pouvoir de remuer toutes les facultés de mon âme, celui qui a créé un nouveau genre : la tragédie du paysage ». La peinture de Friedrich  est en effet dominée par des paysages mélancoliques et hivernaux, comme « Matin de Pâques » (1833), mais aussi des endroits hostiles et périlleux (« Le voyageur contemplant une mer de nuages », 1818) ou encore des lieux immenses et déserts, ainsi que l’illustre  « La mer de glace » (1824). Même si cette peinture évoque le matin et l’arrivée du printemps, force est de reconnaître que c’est l’aspect tourmenté du littoral qui sollicite l’imaginaire du peintre : on y ressent la désolation et la solitude autant que l’expression pathétique de la souffrance et d’une certaine démesure.

Regardez l’arbre mort au premier plan : n’est-ce pas la sensibilité romantique, si réfractaire à « l’esprit de système » qui s’élabore ici ? Autrement dit le désorganisé, le chaotique, l’esthétique de la contradiction et de la confusion dans la dramaturgie du paysage. Rappelons en effet combien la sensibilité romantique, si elle exalte la nature à la fois confidente et consolatrice, n’en privilégie pas moins la fascination pour l’informe et le tourmenté. De fait, représenter un arbre mort ne relève pas d’un choix anodin : l’arbre paraît exsangue, comme s’il souffrait de la vieillesse au milieu de ce paysage désolé. Il faut en effet remarquer le caractère quasi anthropomorphique de l’arbre, représentation de l’individu solitaire investi d’une puissance qui le dépasse, et qui semble évoquer dans son agonie, l’angoisse de la mort individuelle et personnelle qui ne cessera de hanter Friedrich tout au long de son existence.

Une existence tourmentée

Friedrich a en effet porté toute sa vie le poids de plusieurs tragédies familiales. Encore enfant, il connut la mort de sa mère, puis celle de ses deux sœurs, et la noyade de son frère dans la mer Baltique. Ces décès l’ont profondément bouleversé, notamment celui de son frère, au point qu’il a éprouvé le besoin de faire de la mer l’élément principal de la majorité Caspar_David_Friedrichde ses œuvres. On comprend aussi l’autre raison pour laquelle Friedrich évoque ce vieil arbre désolé : comme pour exprimer l’extrême solitude qu’il éprouve depuis la perte des êtres chers.

← Caspar David Friedrich, Autoportrait, vers 1818

En opposition au ciel et au lointain, les signes de mort abondent en effet dans le premier plan qui n’est que friche, dessèchement et décomposition. Comme il a été très justement dit, « la mort dans les tableaux de Friedrich n’est pas seulement le contraire de la vie et la négation de celle-ci, mais une image du néant, dont les symboles sinistres et terrifiants s’ouvrent en abîme sur un mystère indicible »|3|.

De fait, la peinture se dédouble en un paysage intérieur comme Friedrich aimait le rappeler lui-même : « Le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit en face de lui, mais aussi ce qu’il voit en lui. S’il ne voit rien en lui, qu’il cesse alors de peindre ce qu’il voit devant lui »|4| : cette affirmation de Friedrich est essentielle car elle résume bien le nouveau rapport à la nature que va inaugurer le Romantisme : on peut parler ici d’une véritable dimension autobiographique du paysage, comme si le peintre se remémorait son vécu, ses souvenirs d’enfance à travers ce paysage balte qu’il connaît d’autant mieux qu’il a grandi à Greifswald, petit village de Poméranie occidentale bordant la mer Baltique.

Souffrance intérieure et révolte

Friedrich semble donc se représenter à travers cet arbre, qui est tout autant l’allégorie d’une profonde souffrance intérieure que l’expression hyperbolisée du moi romantique qui se pose au centre du monde dans une position de révolte et de défi, pour mieux le repenser. On pourrait voir en effet, de par les connotations primitivistes de l’arbre, une sorte de quête spirituelle et un certain côté antisocial du romantique qui se proclame seul existant, en proie au mal du siècle, ce sentiment de malaise et d’inadaptation par rapport aux bouleversements historiques.

Au premier plan, les branches cassées et les débris de bois que l’on aperçoit sont comme la métaphore d’une mort du monde, d’une histoire qui voue inéluctablement les êtres et les choses à la destruction et à la finitude. Le motif paradisiaque de l’arbre est en effet détruit au profit d’une sombre méditation sur l’Histoire, enfiévrée par le souvenir des deuils personnels et la montée du sentiment nationaliste en réaction aux guerres napoléoniennes. Cet arrière-pan politique|5|, qui inspirera à Friedrich un patriotisme radical, est suggéré par l’image du chêne qui plonge ses racines dans la terre dévastée comme pour Friedrich_Corbeaux_a1retrouver les racines de la nation allemande. C’est presque un champ de bataille qui est représenté ici à travers cet arbre qui semble avoir rendu l’âme au milieu de paysages et d’un monde voués à la mort inévitable et aux ténèbres. Le fait de représenter un vieil arbre laisse entendre aussi que ce dernier vivait depuis longtemps, qu’il avait été le témoin d’une histoire et d’un passé idéalisés —la nostalgie du vieux Reich et le retour des aspirations nationalistes au pangermanisme— reliques de la nature sauvage, originaire et primitive. On ne trouve d’ailleurs dans le tableau aucune présence humaine, ce qui accentue cette idée de retour en arrière,  intimement liée à l’expression d’un sentiment mystique.

« Le motif de l’arbre, très présent chez Friedrich, illustre parfaitement la conception du romantisme allemand : en dépit du léché de ses œuvres,  Friedrich rompt avec l’académisme […]. En effet, par analogie, nous sentons dans l’arbre circuler une vie, un processus de croissance et de dégénérescence s’y déroule. De même, l’arbre offre les métamorphoses organisées d’un univers auquel l’homme participe. À travers un réseau d’analogies, l’arbre figure aussi bien l’univers, l’homme que la communauté, le détail de sa structure —racines, tronc, branches, rameaux, feuilles etc.— fournit un ensemble inépuisable de significations symboliques qui permettent de passer de l’homme à la nature, de la nature à l’homme. L’homme comme l’arbre participent à la vie de la nature comme les parties d’un tout, le peintre révèle par ses tableaux le battement lyrique de l’univers. Les tableaux de Friedrich dissolvent les formes objectives dans des images hallucinatoires où se scelle l’alliance entre l’homme et la nature par la médiation de l’arbre. »

Robert Dumas
« La peinture de l’arbre à l’épreuve de la politique allemande »
in Jean Mottet (dir.), L’Arbre dans le paysage, Éditions Champ Vallon, Seyssel 2002, page 29.

Mort et transfiguration

Les propos de Robert Dumas que nous venons de citer sont éclairants : si l’arbre mort apparaît comme le signe d’un chaos originel, une fin, sa mort ramène paradoxalement au commencement : mort et transfiguration ; chaos, division et retour à l’unité originelle. De même, si le motif des corbeaux renforce la symbolique sombre et funeste de la scène, leur présence est néanmoins présage et manifestation spirituelle du passage de la mort à la résurrection. La dimension symbolique est ici évidente : Friedrich aimait à rappeler qu’il voyait Dieu en tout, et on pourrait en effet en appeler à la notion de sacré pour rendre compte de ce paysage  qui « n’est autre que la manifestation d’un moi absolu, exprimant la recherche spirituelle, et le dépassement par l’art de la condition humaine malheureuse et vulgaire »|6|.

Cette peinture contient en effet des touches positives, des lueurs d’espoir d’une vie éternelle, suggérées métaphoriquement par le lever du soleil et le ciel orangé, presque éthéré, de ce début de printemps. Ainsi qu’il a été très justement noté, « oiseaux noirs, feuilles mortes, souches aux formes menaçantes sont signe de mort et d’adversité ; le Friedrich_arbre_corbeaux-cielpaysage lumineux du fond, avec Arkona au loin […] évoque au contraire l’espoir chrétien de la vie éternelle »|7|. Reflet de l’au-delà, le ciel est à cet égard mis en valeur par la majeure partie de l’arrière-plan qu’il occupe dont l’immensité suffit à elle seule à suggérer l’abandon métaphysique de l’homme et l’aspiration à une sorte de pureté originelle, intimement liée à l’expression d’un sentiment mystique inspiré par la nature.

Le spectateur pense donc inexorablement à l’évasion, à l’envol, à la transfiguration. Qu’il nous soit permis d’évoquer ici ces propos signifiants d’Albert Béguin dans L’Âme romantique et le rêve : « Peinture profondément symbolique, où le paysage n’est jamais une unité refermée sur elle-même, mais comme une allusion à d’immenses espaces au-delà de ceux qui sont saisis par le peintre »|8|. Comme nous le comprenons, le romantisme est ainsi caractérisé par le rêve d’élévation, la recherche spirituelle, la quête ascensionniste de l’absolu, inséparable de celle de la mort.

Conclusion

Comme nous avons essayé de le montrer, « L’Arbre aux corbeaux » appelle une lecture allégorique, voire mystique du paysage, qui est d’abord un « paysage de l’âme ». Ainsi que le suggérait Christophe Genin, « cette manière d’exhausser religieusement le paysage lui confère sa dimension abstraite et non narrative »|9|. En tant que « méditation […] mystique sur le sens de la vie et de ses cycles »|10|, le tableau de Friedrich représente ainsi la violence de la nature dans l’idée d’une communion de l’homme avec le « grand tout », qui est un aspect clef du primitivisme romantique. Mais ce qui importe également dans cette peinture, et dans toute l’œuvre de Friedrich d’ailleurs, est l’exaltation de la subjectivité, autrement dit la relation entre le paysage extérieur et le paysage intérieur, le paysage de l’âme de celui qui regarde.

Le romantisme allemand illustré par l’œuvre de Friedrich nous amène en outre à différents questionnements sur la personnalité tourmentée des artistes de cette époque dont les œuvres expriment, à travers la peinture de paysages, la démesure de la passion, la révolte, l’exaltation du sentiment national mais aussi la part du rêve, la profondeur métaphysique et la dimension mystique. À ce titre, la solitude et la vie austère que Friedrich s’est imposé ont fait de lui un être profondément différent et replié sur lui-même. Gabrielle Dufour-Kowalska rapporte ainsi les propos tout à fait éclairants d’un contemporain du peintre : « L’atelier de Friedrich était d’un vide si absolu [qu’on] aurait pu le comparer au cadavre éventré d’un prince mort. Il n’y avait rien d’autre qu’un chevalet, une chaise et une table et, au mur, comme seul ornement pendait une équerre »|11|. Et sans doute cette austérité explique-t-elle selon nous l’importance de la solitude contemplative et introspective dans la peinture de Friedrich. Comme si l’expression de la solitude amenait le peintre à chercher en lui-même le secret de son destin…

© Lucie B. Lycée en Forêt, Classe de Seconde 8 (promotion 2014-2015)
Relecture, remarques complémentaires et coordination des informations : Bruno Rigolt

Notes

1. Voir cette page.
2. Musée du Louvre, Aile Richelieu, 2e étage, salle E. Pierre Rosenberg, dans son Dictionnaire amoureux du Louvre (Paris Plon 2007), raconte l’anecdote suivante : « Entre 1940 et 1945, L’Arbre aux corbeaux était exposé au Folkwang Museum d’Essen. Ses propriétaires, une famille juive qui avait émigré aux États-Unis, le récupérèrent après la guerre. En 1975, à la mort d’un des descendants, le tableau fut mis en vente à la condition expresse qu’il ne retourne plus en Allemagne. Peter Nathan (1925-2001), un marchand et collectionneur zurichois d’origine allemande, l’offrit en priorité au Louvre ». |source|
3. 
Gabrielle Dufour-Kowalska, Caspar David Friedrich : aux sources de l’imaginaire romantique, éd. l’Âge d’Homme, Lausanne (Suisse), 1992, page 75.
4. cité par Charles Sala, Caspar David Friedrich et la peinture romantique, Pierre Terrail, 1993, page 83.
5. cf. ce 
panneau didactique de l’exposition « De l’Allemagne, 1800-1939 : de Friedrich à Beckmann » (Paris, Musée du Louvre, 28 mars-24 juin 2013) : « Autour de 1800, se répand en Allemagne un discours romantique qui ménage au paysage « national » une place centrale, contre le classique paysage historique d’inspiration française ou italienne. Ce phénomène est évidemment renforcé, vers 1813, au moment des guerres de libération contre les armées napoléoniennes. Le terroir se charge alors de connotations patriotiques et le sentiment de la nature d’une dimension idéologique ».
6. Bruno Rigolt,  Analyse d’image : Caspar David Friedrich… « Le voyageur contemplant une mer de nuages ».
7. Voir cette page.
8. Propos cités par Jean Moncelon dans le site qu’il a consacré au peintre.
9. Christophe Genin, Images et esthétique, Publications de la Sorbonne, Paris 2007, page 72.
10. Pierre Rosenberg, Dictionnaire amoureux du Louvre, Paris Plon 2007.
11. Gabrielle Dufour-Kowalska, op. cit. page 10.

Sources utilisées dans cet article :

D’autres analyses d’image de tableaux de Friedrich sont consultables sur ce site :

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Un Automne en Poésie Saison 6 (2014-2015) Deuxième livraison

Poursuite de l’exposition « Un Automne en Poésie »

Les élèves de Seconde 8 et moi-même souhaitons dédier
cette édition d' »Un Automne en Poésie » à Sarah L. (†).
Tu seras toujours dans nos cœurs Sarah. 

UAEP_2014_6_2Illustration : Bruno Rigolt

Les élèves de Seconde 1 et de Seconde 8 du Lycée en Forêt sont fiers de vous présenter l’édition 2014—2015 d’« Un automne en Poésie », événement désormais incontournable qui marque comme chaque année l’actualité littéraire lycéenne. Puisant leur inspiration dans le message du Romantisme et du Symbolisme, les jeunes étudiant(e)s ont souhaité mettre en avant l’écriture poétique comme exercice de la liberté : liberté du rêve, des grands infinis ; liberté du cœur et des sentiments ; liberté aussi des jeux sur l’image et le non-dit, l’inexprimable, l’ineffable du mot…

Voici la deuxième livraison de textes.
Chaque semaine, de nouveaux textes seront publiés dans l’Espace Pédagogique Contributif jusqu’au 21 décembre 2014 (dernière livraison).

Prochaine livraison : vendredi 28 novembre 2014

________________

Le Labyrinthe dispersé

par Sarah G.
Classe de Seconde 1

 

La pluie turquoise
Dessine le portrait
De l’érable perdu,
Le miroir du monde tremble,

Il exécute la valse fantôme
Comme une expérience dépassée
Quand le lendemain piétine le présent
Tel un rythme solitaire.

La science condamne les alliances,
L’attente demeure pesante…
Le labyrinthe se disperse
À travers la forêt d’émeraude brûlée.

Rafal-Olbinski« Le labyrinthe se disperse
À travers la forêt d’émeraude brûlée
… »

Crédit iconographique : Rafal Olbinski (1943-)

            

                  

Lorsque la ville au loin se lève

par Marion D.
Classe de Seconde 1

              

Regarde le ciel bleu parmi tant de tristesse :
Le va-et-vient de la mer m’emporte avec elle.
Mon cœur meurt à chaque instant de la vie
Et l’odeur du vent me transporte
À l’autre bout du soir.

La douce chaleur de l’amour berce mon âme
Ce mot me torture jusqu’au centre de mon ventre.
Elle portait du coton en signe de pureté,
Elle est absente, disparue ; depuis cet instant
Je meurs à chaque soupir du temps.

Le regard vide mais plein de larmes, j’avance.
Je bois les paroles de la nuit avec une profonde douleur
Et tous les matins, depuis le jour où elle est partie,
Après le chant du soleil, lorsque la ville au loin se lève,
Je ne peux résister à l’appel de la mort.

soir_mer_BR_1« Mon cœur meurt à chaque instant de la vie
Et l’odeur du vent me transporte
À l’autre bout du soir »

Crédit photographique : Bruno Rigolt

        

     

Coule une perle…

par Chloé M.
Classe de Seconde 1

                  

Sur ma joue,
Sur cette colline au crépuscule,
Coule une perle de rosée minuscule,
In my dreams and my nightmares*,

Ô Lune ! Prends ma vie et mon paysage ;
En échange,
Je veux retrouver son visage
In my dreams and my nightmares.

Mon cœur blanc de pureté s’est terni
Mon chagrin s’étend comme les nuits étoilées
À des années-lumières, à l’infini,
In my dreams and my nightmares…

* In my dreams and my nightmares (angl.) : dans mes rêves et mes cauchemars

Paysage orientaliste_Copyright_Bruno_Rigolt_2014« Mon chagrin s’étend comme les nuits étoilées
À des années-lumières, à l’infini.
.. »

Crédit iconographique : © Bruno Rigolt, novembre 2014
(photographie aquarellée et retouchée numériquement, digital painting)

Expédition astrale

par Samy D.
Classe de Seconde 1

                  

Ce soir-là je me suis assoupi
Au bord de la Seine
Que le soleil gorgeait de vie.
Alors que mes paupières se fermaient

Le son de l’eau m’a bercé,
Ce flot de couteaux bleus
Qui traversait Paris,
Ville rongée par la vie.

Bientôt mon âme s’échappait
Loin des rues souillées,
S’aventurait dans une
Forêt de nuages

Les étoiles furent
Ma prochaine destination :
Miroirs de l’univers
Rayons d’espoir des hommes.

Frank Myers Boggs« Bientôt mon âme s’échappait loin des rues souillées,
S’aventurait dans une forêt de nuages… »

Frank Myers Boggs, 1855 (Springfield, Ohio) — 1926 (Meudon, France)
« Vue de Notre-Dame au clair de lune », 1898
Huile sur toile. Coll. privée

                       

                   

Lointaine inscription

par Mélina M.-P.
Classe de Seconde 1

                 

La peinture de mes sentiments m’attire
Vers l’arôme de tes pensées
Ainsi que vers la précision
De tes adroites mains.
Je viens te chercher :
Voilà des mois que j’attends
Des nouvelles de tes yeux.

Je vois en toi le rythme de l’horloge
Comme la tension de mon âme
Pourtant une lueur obscure éclaire
de murmures de rosée
La vie que je porte en moi :
Voilà des mois que j’attends
Des nouvelles de tes yeux.

La beauté du monde
Me pousse à chercher un idéal
Voilà des mois que j’attends
Des nouvelles de tes yeux.
Depuis, mon cœur est rempli
D’un désarroi introuvable :
Une lointaine inscription.

coeur_atomes_1« La peinture de mes sentiments m’attire
Vers l’arôme de tes pensées… »

Crédit iconographique : Bruno Rigolt

 

              

Molécule minérale

par Claire D.
Classe de Seconde 1

                      

Molécule minérale dans toute l’immensité
Je regardais le ciel d’encre noir
Où voyageaient d’innombrables étoiles

Organismes infinis qui semblaient me parler
Dans le néant dissident. La majestueuse lune
Scintillait de son éclat lacté arrogant

Tous les astres de la nuit passée
Timidement s’étaient éclipsés vers l’azur
Voilés par les nuages de l’aube naissante.

Van Gogh La_nuit_étoilée« Je regardais le ciel d’encre noir
Où voyageaient d’innombrables étoiles
… »

Vincent Van Gogh, « La nuit étoilée », 1889
New York, Museum of Modern Art

 

              

Des colombes s’envolent

par Camille A.
Classe de Seconde 1

                      

De fins éclairs de soir en fleur
Scintillent dans mes yeux. D’inévitables pensées
D’exotique nature frissonnent au gré de l’irréparable :
Les orages finissent en naufrages.
La mer desséchée s’immobilise
Au songe froid de la nostalgie.
Ce refus peut-il nous déchirer ?
Là-bas, le désert d’azur rempli d’amour
Envole des colombes
À la recherche de nouveaux paysages…

oiseau_nuit« De fins éclairs de soir en fleur
Scintillent dans mes yeux. D’inévitables pensées
D’exotique nature frissonnent au gré de l’irréparable… »

Crédit iconographique : © Bruno Rigolt

Ce lieu magique…

par Victor B.
Classe de Seconde 1




Je ne peux te définir par aucun nombre
Car tu es douce comme le vent qui respire,
Tu es le lieu magique parallèle à mes pensées

Le monde en fleurs parmi ces vastes plaines
Tu es le strict maximum de ma vie
La rosée du soleil ne cesse de t’illuminer

Tu es en accord avec mon cœur
Tu es l’amour possible, le ciel qui se tient debout
Aux murmures d’étoiles, aux battements de pluie !


« Car tu es douce comme le vent qui respire,
Tu es le lieu magique parallèle à mes pensées
… »

Illustration : Kay Sage (1898, New York — 1963, Woodbury)
« Le Passage » (autoportrait), 1956
(collection particulière)

La numérisation de la deuxième livraison  de textes est terminée.
Troisième publication de textes : vendredi 28 novembre 2014…

 

Licence Creative CommonsNetiquette : comme pour l’ensemble des textes publiés dans l’Espace Pédagogique Contributif, les poèmes des étudiant(e)s sont protégés par copyright. Ils sont mis à disposition des internautes selon les termes de la licence Creative Commons Paternité (Pas d’utilisation privée ou commerciale, pas de modification). La diffusion publique est autorisée sous réserve de mentionner le prénom de l’auteur, l’initiale de son nom, la classe, l’établissement ainsi que la référence complète du poème cité (URL de la page).