Corrigé du premier entraînement BTS : le rire, un phénomène social

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Corrigé de la synthèse 

[Introduction]

Pourquoi rit-on ? Plus qu’un phénomène physiologique et réflexe, le rire occupe une fonction sociale majeure dans l’appréhension de l’interculturel. Le corpus qui nous est présenté témoigne en effet, par l’objet même qu’il tente de circonscrire, des nombreux questionnements qu’a suscités le phénomène du rire. Le philosophe Bergson montre qu’en participant à une identité collective, le rire façonne la vie sociale. Dans un article récent, Laurence Consalvi rappelle également que le rire ouvre un espace socialisant de rencontres et d’échanges. Les deux autres documents, le prologue de Gargantua de Rabelais et l’affiche du Dictateur de Chaplin, nous amèneront à nous interroger plus fondamentalement sur les enjeux culturels du rire : en répondant à plusieurs exigences existentielles, n’a-t-il pas conséquemment une portée sociale et morale régulatrice ? Nous nous proposons d’aborder ces problématiques selon une triple perspective : la fonction sociale du rire, sa portée critique et enfin sa dimension symbolique.

[La fonction sociale du rire]

En premier lieu, le rire a une valeur sociale : il constitue en effet l’une des formes essentielles par lesquelles s’expriment les rapports humains. C’est à une analyse de cette fonction sociale du rire que se livre le philosophe Henri Bergson dans un court traité  demeuré célèbre depuis sa publication en 1924 : Le Rire. Essai sur la signification du comique. L’auteur fait tout d’abord remarquer que si le rire s’applique toujours à ce qui est proprement humain, il nécessite cependant un mouvement de mise à distance de l’affectif, de l’émotion et de la sensibilité. Bergson s’en explique en attirant l’attention sur le fait que le comique ne présuppose pas seulement ce qu’il appelle « une anesthésie momentanée du cœur », mais dans le même temps qu’il détermine la recherche d’une communication et d’une intelligence commune : en ce sens, comme Bergson le rappelle, le rire est rassembleur : « On ne goûterait pas le comique, fait-il remarquer, si l’on se sentait isolé. Il semble que le rire ait besoin d’un écho ».

Laurence Consalvi nous rappelle également dans un article universitaire, mais intitulé sous forme de boutade « Des écla… boussures de rire », (in Deux mille ans de rire, permanence et modernité, Paris, Les Belles Lettres, 2002), que le rire, en tant que communication non verbale,  instaure une rencontre. Par son rire, l’individu communique volontairement ou non, des intentions, des sentiments, des jugements. On pourrait aussi faire remarquer combien à travers l’Affiche du Dictateur (1940), le burlesque de Charlie Chaplin invite à un échange : il y a donc une sorte de réciprocité et de complicité dans la rencontre des rieurs. Cette fonction sociale du rire est superbement mise en évidence par Rabelais : rédigé en 1534, le « Prologue » de Gargantua,  a immortalisé une expression restée célèbre : « rire est le propre de l’homme ». En ce sens, il permet de désamorcer les manifestations agressives en  amenant un « recul » que les gens trop sérieux n’ont pas. Mais le rire ne saurait se borner à cette seule fonction sociale. Il est aussi un mode d’interpellation et d’interrogation essentiel.

[La fonction critique du rire]

N’oublions pas que le rire est moins un divertissement qu’un avertissement : il revêt en effet une fonction critique qui l’associe à la liberté d’expression. Dans le prologue de Gargantua, texte largement provocateur et sacrilège, si Rabelais fait du rire « le propre de l’homme », c’est qu’il lui assigne des exigences avant tout éthiques : il ne suffit point de préférer le rire aux larmes, le rire doit avoir une légitimité morale. S’il permet, comme nous l’avons vu précédemment chez Bergson, de prendre du recul, c’est peut-être pour mieux combattre les préjugés. Ainsi constitue-t-il une arme redoutable pour dénoncer les tyrannies de toute sorte : cet aspect critique du rire est particulièrement mis en valeur par l’affiche du Dictateur, qui semble faire voler en éclat… de rire tout le mythe nazi. Tourné en 1940 dans une période dramatique de notre histoire, ce film transforme en effet le comique clownesque en véhémente satire sociale et politique contre la dictature, mais aussi en vibrant plaidoyer humaniste.

De même que Rabelais nous prévient que Socrate, laid extérieurement, était plein de sagesse divine, et nous invite à voir dans le rire une profonde valeur humaine et philosophique, de même le « petit barbier » juif du Dictateur nous appelle à la conscience et aux enjeux de la responsabilité individuelle et collective : dans ce cas, le rire est humaniste. Derrière des titres aussi drôles que « Fesse pinte », « La Dignité des braguettes », « Des pois au lard avec commentaire », etc. chez Rabelais ou derrière le personnage bouffon de Charlot il faut donc chercher la « substantifique moelle », c’est-à-dire le sens caché sous la surface : derrière l’apparente frivolité, l’engagement. Comme nous le voyons, toute la difficulté du rire vient qu’il s’en prend à ce qui lui est le plus étranger : si l’ordre établi a peur du rire, c’est parce qu’il est avant tout transgressif. Cet aspect essentiel amène donc à réfléchir au rire sur un plan plus anthropologique et symbolique.

[La fonction symbolique du rire]

Le rire met en effet à jour, à un niveau sans doute plus inconscient, les peurs existentielles et les angoisses de l’homme. Laurence Consalvi par exemple, en fondant sa réflexion sur l’observation des réactions du public venu assister au Fantafestival, manifestation consacrée au cinéma fantastique, rappelle une vérité profonde : le rire soulage car il nous libère de la peur de l’incontrôlable. Il est un défoulement libérateur qui exorcise nos angoisses ; c’est pourquoi il obéit souvent à un cérémonial et à un rituel précis : le public n’est-il pas le support de nos projections ? De fait, on a besoin des autres pour se sentir protégé mais aussi reconnu et légitimé. Le rire marque par ailleurs l’ancrage socioculturel de l’individu dans la norme et les codes de socialisation. Bergson rappelle ainsi qu’au-delà des activités gestuelles ou émotionnelles, on rit avec d’autres selon une logique qui rattache le comique aux formes les plus anciennes de la vie sociale.

Enfin, ne pourrait-on pas affirmer du rire qu’il est profondément universel ? L’affiche du Dictateur peut être comprise de tous : quelle que soit notre culture, le « petit barbier » suscite le rire universel. Et par le comique du ridicule, il exorcise le mal le plus absolu, mais au lieu de trembler, nous rions même si nous avons peur : le propre du rire est précisément de transformer les forces de mort en forces de vie. Derrière Hitler, se cache le barbier si drôle et si humain. De même, derrière la terrible censure religieuse implicitement évoquée dans le texte de Rabelais apparaît toute l’entreprise humaniste de son auteur. Comme nous le comprenons, en transgressant les interdits, le rire suspend le drame dans l’euphorie et se voit symboliquement associé à la condition humaine, dans sa dimension comique mais aussi la plus tragique.

[Conclusion]

Au terme de ce travail, interrogeons-nous : les analyses des manifestations du rire proposées par les auteurs de notre corpus ne nous amènent-elles pas à réhabiliter le rire dans sa dimension la plus essentielle ? Sa dimension sociale et surtout morale. De fait, le rire est un humanisme : il est non seulement l’un des fondements de l’esprit critique mais il amène à une intelligence et à une compréhension humaniste de l’existence parce qu’il est précisément au cœur de l’homme : l’avertissement de Rabelais est plus que valable en ce vingt-et-unième siècle… Le rire peut nous apprendre à mieux vivre et à mieux penser que ne sauraient l’imaginer les tenants des scolastiques, des dogmes ou des préjugés les plus étroits.

© Bruno Rigolt (EPC/Lycée en Forêt, Montargis, France).
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