“Et si c’était un jour leur premier roman?”
Tel pourrait être le titre de cette nouvelle rubrique proposée par les élèves de Seconde 18 et Seconde 7… Au départ, un exercice tout à fait “classique” : rédiger le début et la fin d’un roman… Les élèves les plus assidus à la tâche se sont pleinement investis dans ce challenge : travaillant et retravaillant les manuscrits, corrigeant la grammaire, revoyant la syntaxe, précisant le lexique et surtout s’attelant à la grande question du “style”, afin de proposer la première ébauche de ce qui pourrait bien devenir un jour leur “roman”. Le cahier de texte électronique est fier de vous proposer la lecture de ces textes tous inédits. Même s’il s’agit des premières pages et des dernières pages d’un possible livre, les manuscrits peuvent se lire comme une nouvelle…
Bonne lecture !
Découvrez le manuscrit…
“La Balançoire”
par Janyce M. (Seconde 18)
(incipit)
16h45. Regarde toi ! Et que vois-tu ? Un con. Un con accoudé à sa fenêtre, un con fumant sa clope.
Regardez, admirez mon royaume ! Mes yeux se perdent une nouvelle fois dans ce spectacle répugnant, cette petite représentation quotidienne qui me rappelle l’enfer dans lequel je vis. Mon regard se pose sur le ciel. Soupir de lassitude. Nouvelle clope. Le ciel n’existe pas, pas chez moi. Là où je vis, ce n’est qu’une mélasse terne. Je peux voir la ville entière d’où je suis. Je peux voir les usines cracher leur fumée, cette fumée qui rend notre ciel si triste, sans fond, sans forme, sans nuages pour rêver. Je peux voir les habitants vomir leurs saletés, leurs détritus. Je suis en overdose. Une overdose de cette ville dégueulasse. Un profond dégoût, une nausée constante.
Mais il y a l’océan. J’aime bien l’océan. Malheureusement, on ne le voit plus. Il est caché par de nouvelles habitations, toujours plus hautes, plus nombreuses … Cubes de béton. Je suis asphyxié.
C’est dégueulasse !
J’aimerais m’évader, m’en aller de cette foutue ville. Voilà pourquoi j’ai décidé d’écrire un livre. Un livre qui parlerait d’une île, enfant de l’union de l’océan et du ciel. Il y aurait enfin un ciel ! Un beau ciel azur rempli de moutons blancs. On y verrait des mouettes voler … Oui, de belles mouettes ! J’irais m’y installer … Et comme seul bagage à main : mon rêve d’ailleurs. Je n’ai besoin de rien d’autre. Je veux être loin d’ici ! Loin de cette ville de merde. Loin de ces usines dégueulasses. Je serais sur mon île … Oh oui …
«Pourquoi tu pleures ? Merde alors ! C’est honteux de pleurer ! Essuie-moi ces larmes tout de suite !» Je reprends possession de mon corps. Mes voix intérieures se sont tues. Je passe machinalement la main sur ma joue mal rasée et je m’aperçois que je pleure … Je prends une autre clope. D’ailleurs … Si je commence à écrire, j’arrête de fumer. La clope, c’est mauvais. Je jette le paquet à la poubelle. Envie de tout jeter à la poubelle. La ville aussi. C’est un nouveau départ.
Je me lève, quitte ma fenêtre. Soupir de celui qui n’a rien à perdre. Je m’installe, un paquet de feuilles jaunies par le temps devant moi. Je prends mon stylo. Ma main tremble. Enfin… Enfin… La pointe de mon stylo effleure la feuille… Quelle jouissance ! Quel bien-être ! Je… Je…
Ma main se crispe. Mon poignet aussi. Tout mon corps se fige. J’entends mon cœur. Résonance sur peau de tambour. Tendu. Mes yeux coulent une eau tiède. La feuille reste vierge. Vierge de mots, mais inondée de sentiments … Espoirs, doutes, tristesse, déception et toujours cette impuissance amère. Alors la rage. Je lance ma chaise contre le mur. Chaise brisée. Je jette mes feuilles et mon stylo par la fenêtre. Je m’assois sur mon lit en plongeant mon visage dans mes mains.
Je ne sais pas écrire.
Je dors. Je rêve. Nuit et jour. Je pense que je suis tombé malade, à cause de la fenêtre qui ne se ferme pas complètement. Je reste dans l’obscurité. Comme ça, pas besoin de fermer les yeux sur le monde, je peux les garder grands ouverts, ils restent aveugles.
«Merde ! Mais qu’est-ce qui te prend ? T’abandonnes ? T’en as dans les tripes, non ? Tu le veux ce livre ! Alors debout ! Lève toi ! ALLEZ LÈVE-TOI !»
Je me redresse. Maladroit. Je m’habille. Je regarde par la fenêtre. Il neige. J’enfile ma petite veste de coton, la seule que j’aie. Je sors. Le vent est glacial. Pas ma volonté.
Je ne sais peut-être pas écrire, mais je ne suis pas un nullos. Faut que je me fasse aider.
(excipit)
16h45. Ça pourrait être une heure de départ d’avion, de train, de retrouvailles, de réunions. 16h45, c’était bien car c’était déjà la journée bien entamée, avec une soirée en perspective en plus. 16h45, ça voulait dire la vie qui a bougé, travaillé, marché, cuisiné, parlé, ri, partagé, lu, réfléchi, pleuré peut-être aussi … 16h45, c’était des heures déjà ben remplies depuis le matin. Mais ça, c’est le 16h45 des autres.
Mon 16h45 à moi, ça a été du vent. Et là, j’ai froid. Je suis fatigué, las. Ce que j’ai fait n’a servi à rien : rien, nada. Mon livre, oui, je l’ai écrit. Mais pas tout seul. Avec plein de rencontres qui ont posé sur mes feuilles mes obésités d’espoirs. Et puis, quoi ? J’ai balancé mes tripes, mais ma vie est la même. Peut-être à balancer elle aussi ?
Je vomis ma nicotine. Je tousse, je crache, je m’arrache les poumons depuis que j’ai repris la clope. Après l’envol de mon livre et sa fin, j’ai chuté : le décalage entre mes rêves et la réalité m’a fait faire le grand écart. J’ai chuté et rechuté, avec la clope.
Les gamins d’aujourd’hui diraient que ma vie est glauque. C’est drôle, c’est ma mère qui trouvait que j’avais un beau regard glauque —ce bleu-vert indéfinissable de l’océan— disait-elle …
J’ai besoin d’air.
Je sors. Il neige. Je ne la sens pas. Je ne sens plus rien. Je marche. Droit devant moi. Le ciel pleure-t-il lui aussi ? Je marche entre les plaques de verglas, ces petits miroirs sur l’asphalte. Je peux sentir l’air salé d’ici. Inconsciemment, mes pas m’ont mené près de l’eau. J’aurai presque pu fermer les yeux pour y arriver. Je me sens plus calme. C’est comme si je retrouvais un vieil ami. Je m’assois au bout de la jetée. Je regarde l’horizon. Ou plutôt ce qui doit être l’horizon.
Je sens la présence d’un môme. Je ne vois que son short vert kaki, ses maigres rotules écorchées. Il s’est assis juste à côté de moi. J’ai rien à lui dire. Nos jambes pendent par-dessus l’eau. Il balance les siennes. Qu’est ce qu’il fout là, l’gamin ? Qu’est-ce qu’il me veut ? Il cause pas. Je fais celui qui ne l’a pas vu. Je regarde le fond de l’eau. Gris-bleu, vert-de-gris, bleu-marine et outremer, gris ardoise. Déclinaison. Nuances. Peut-être que j’en manque ?
Un cri de mouette déchire mon monologue intérieur. Je lève la tête et suit les arabesques qu’elle dessine. Le gamin a dû sentir que je revenais à la vie car il me dit :
«T’as vu la fumée là-bas, au-dessus de la grande usine ? On dirait un renard tu trouves pas ?
Il pointe son doigt vers le panache gris. Son doigt attend ma réponse. Un renard ? Comment il voit ça le gamin ? Oui … peut-être … Alors je réponds :
– On dirait que tu as raison, ça y ressemble.
Du coup, j’ai regardé la fumée autrement. C’est vrai, elle pouvait, comme les nuages, s’étirer sous le vent et jouer de notre imagination. Je me suis senti sourire : j’avais vu un dragon. Je regarde le gamin. Brun, des mèches lui tombant sur son regard vert, il m’offrait un sourire tout frais avec une dent de lait manquante. Est-ce que ce gamin a autant de rêves que j’en avais à son âge ? Le gosse fouilla dans sa poche arrière et en sortit un bout de papier. Il me le tendit :
– Dis, tu peux m’faire un avion ?
J’ai pris le papier. Je l’ai plié, déplié, replié. Je me rappelais mes geste d’enfance. J’y suis arrivé. Même qu’il était pas mal mon avion. Le gosse avait l’air ravi, lui.
Il a sauté sur ses jambes, l’a tenu au-dessus de l’eau, prêt à le faire voler.
– Et comment il s’appelle ton avion ?
– Point de Vue»
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