Thème 2009 du BTS… "Faire voir" : téléréalité, mise en scène et simulacre

bts2009.1232872062.jpgDe la télévision traditionnelle à la téléréalité…
Luc Dupont, dans Téléréalité (Les Presses Universitaires de Montréal, 2007) cite cette phrase d’Andy Warhol : « Dans un monde caractérisé par l’avènement du marketing de masse, de la télévision, de la presse et de la commercialisation des célébrités, chaque personne pourra être célèbre quinze minutes ». De tels propos, non dénués d’humour, posent très bien la question de la téléréalité. Selon Luc Dupont, elle « a transformé l’univers de la télévision grand public. Cette formule, qualifiée de « cinéma-vérité à la Orwell » par le New York Times, remporte partout un franc succès ». Culturellement et socialement, la téléréalité joue en effet un rôle fondamental dans la société moderne dont elle reflète les représentations, les croyances ou les fantasmes. Construite sur des représentations et des mythes inscrits dans l’inconscient collectif, elle remet non seulement en question la place de l’intime dans notre société, mais elle bouleverse la télévision traditionnelle. Apparue au cours des années 1980 dans un contexte de déréglementation et de fragmentation des auditoires, elle est devenue un véritable phénomène de société. Le but de ce support de cours est donc de mettre en perspective la téléréalité et les mécanismes par lesquels une société se donne en spectacle au point d’abolir de façon souvent inquiétante la frontière entre la fiction et le réel, le privé, l’intime et le public.
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BTS  2009 : « Faire voir »

Téléréalité,

Mise en scène et simulacre.

« Après une certaine éclipse des reality-shows à la fin des années 1990, on assiste aujourd’hui, sous l’influence des émissions de real TV américaine, au retour de ce type de spectacle. La part des anonymes dans les spectacles télévisuels ne cesse de croître. » Cette phrase de Luc Dupont pose bien les enjeux de la téléréalité : en un sens, elle consacre le triomphe de la banalité, de l’anonymat, des gens ordinaires. Elle est donc un indicateur non seulement sur les mutations de la télévision et des médias, mais elle est au centre des transformations qui affectent la société elle-même.

Vrai et Vraisemblable

Pour Luc Dupont, « Le discours de la téléréalité est d’autant plus important qu’il est omniprésent […] et qu’il suggère généralement la vraisemblance de l’histoire racontée tout en rendant très humains les personnages ». En cherchant à décrire la vie quotidienne tout en la scénarisant selon une logique mélodramatique caractérisée souvent par ltelerealite.1238360227.jpge pathétique, le sentimentalisme et l’insertion de situations invraisemblables dans une réalité qui se prétend authentique et vraie, la téléréalité reprend en effet le schéma des sitcoms en présentant des personnages outrés dans des situations réelles pour amuser, émouvoir ou scandaliser le grand public. On montrera par exemple le choc des générations (Vis ma vie, Koh-Lanta), les relations entre les hommes et les femmes (Maman cherche l’amour, Le Bonheur est dans le pré), le statut social et la convivialité (Un dîner presque parfait), les styles de vie (Chéri, je change de famille ; Super Nanny), les besoins primaires (C’est du Propre !), la sexualité (Next), etc.

Les émissions de téléréalité traitent donc de thèmes qui interpellent directement les gens dans leur vie quotidienne selon des mécanismes d’identification, de projection et d’appartenance sociale très stéréotypés : les situations présentées sont en effet d’autant plus acceptées par le public qu’elles sont banales et qu’elles mettent en scène selon une logique narrative (le but est de « raconter une histoire ») des individus très sociotypés aux tendances comportementales clairement identifiables et souvent manichéennes : le méchant, le gentil, le pauvre, le riche, le radin, la femme fatale, la provocante, la dépensière compulsive, etc.

Le schéma actantiel de la téléréalité

Le « rôle » des personnages dans la téléréalité est essentiel et l’on pourrait étudier ici ces émissions selon la logique du modèle actantiel proposé par Greimas à la fin des années 60. Ce modèle permet d’étudier dans une histoire (réelle ou thématisée) l’ensemble des forces (les « actants ») qui structurent l’action. Appliqué à la téléréalité, le schéma actantiel offre des perspectives très intéressantes : la Real TV fonctionne en effet selon une logique « actantielle » proprement conflictuelle : on peut étudier l’ensemble des rôles (les actants) et des relations qui ont pour fonction d’organiser le scénario : un personnage anonyme et banal à la base [le sujet] devient ainsi le héros qui doit accomplir une « mission ». Celle-ci consiste à parvenir à l’élimination d’un problème, d’une difficulté, d’un manque (se relooker pour plaire, séduire, acheter un appartement, s’enrichir, etc.). Il poursuit donc la quête d’un objet, réel ou symbolique (voir à ce sujet la pyramide des besoins de Maslow). Les besoins non réels sont à mon sens les plus importants dans la téléréalité parce qu’ils renvoient au désir d’intégration, d’appartenance sociale, d’estime de soi, d’accomplissement, si essentiels dans la société de consommation. 

On doit également étudier ce qui pousse le sujet à agir ainsi (le destinateur dans le schéma de Greimas) : cela peut être une personne réelle, mais le plus souvent il s’agira d’un sentiment, d’une idée : le désir d’être reconnu, d’accéder à la célébrité par exemple. Quant au destinataire, c’est l’élément en faveur de qui la quête doit être accomplie : il est donc mis en valeur à la fin de l’émission. Ainsi dans Secret Story ou l’Île de la Tentation, pour ne citer que ces deux émissions, on cherchera à retarder au maximum la révélation de l’objet recherché par le sujet afin de dramatiser les enjeux de la quête. Dans les émissions de téléréalité, on peut également observer facilement la confrontation du héros avec les personnages, événements, ou objets positifs qui l’aident dans sa quête (les adjuvants), ou au contraire qui cherchent à en empêcher la progression (les « opposants »). Le rôle des opposants et des adjuvants est essentiel dans la téléréalité parce qu’il met en jeu la dynamique des points de vue. Il n’y a pas « un » schéma actantiel mais bien entendu plusieurs selon la subjectivité et l’arbitraire de la caméra, des participants, des spectateurs, etc.

La « théâtralisation » du réel : l’opposition du profane et du sacré

C’est cette logique de mise en scène, à la fois théâtrale, dramatique et proprement conflictuelle qui fait l’intérêt de la téléréalité : le spectateur peut ainsi s’évader de son quotidien et vivre, parfois en direct, une aventure largement fictionnalisée qui s’apparente à une quête, et dont il aura l’impression de décider du déroulement. François Jost (dans La Télévision du quotidien entre réalité et fiction) a montré combien la téléréalité permettait un passage du profane au sacré. Selon lui, « cette relation du profane et du sacré est devenue un trait obligé de cette télévision de jeux de rôles ». De fait, la téléréalité est basée sur la « mise en scène » et la spectacularisation de l’événement. Prenons le cas de Secret Story : comme dans la citrouille-carosse du conte, le banal est transformé selon un archétype symbolique qui valorise l’espace sacré en isolant les candidats du reste du monde. Cette logique se retrouve également dans Koh-Lanta où les lieux sont souvent marqués par des symboles de consécration des territoires (les « Tayak » rouges et les « Mingao » jaunes) et des épreuves initiatiques selon un calendrier sacré et ritualisé (les épreuves, le conseil, etc.).

On pourrait aussi insister sur l’importante fonction totémique de certains objets ou logos. Dans Koh-Lanta par exemple, les tribus, conçues en fonction de l’âge des participants, sont à la base d’un scénario initiatique : celui qui a gagné l’épreuve d’immunité reçoit un « totem » empreint d’une forte dimension symbolique : non seulement il représente le logo, donc l’identité visuelle de l’émission, mais plus fondamentalement il est associé à des significations astrales oniriques ou inconscientes face à l’angoisse du temps et de la mort : l’ultime épreuve qui consiste à tenir le plus longtemps sur un pilier immergé dans l’océan est hautement symbolique : Gilbert Durand avait bien montré dans les Structures anthropologiques de l’imaginaire combien le schème de la posture verticale est associé à une attitude de conquête, de transcendance, de recherche de la pureté et de l’immunité. De même, c’est à dessein que la caméra et la prise de son avant le « Conseil » insisteront sur les symboles nocturnes en les dramatisant : la lune, la nuit, les cris de bêtes, etc. créent tout un imaginaire de la monstruosité qui renvoie à l’opposition profane/sacré que je soulignais tout à l’heure.

Le rôle du public
Hélène Duccini, dans La Télévision et ses mises en scène (A. Colin, Paris 2005) souligne quant à elle l’importance du public dans les émissions de téléréalité : « Pendant longtemps, les plateaux de télévision, tout comme la scène du théâtre, étaient réservés aux professionnels, journalistes, animateurs, comédiens, vedettes des variétés, complétés par les experts et les témoins. Mais progressivement, dans les années soixante-dix, l’habitude s’est prise d’ouvrir les studios à un public, dont on peut définir le rôle en fonction de son degré de participation au spectacle. Il existe un public-décor : assis sur des sièges généralement placés sur des gradins, il meuble le fond et les côtés du plateau. […] Ce public fait modèle, il tient la place des téléspectateurs absents ». Hélène Duccini ajoute que « le public des tribunes peut ainsi jouer le rôle de faire-valoir. […] Mais le public peut avoir un rôle plus actif : composé de supporters, il participe au spectacle en applaudissant, sagement ou de façon exubérante, en sifflant, en huant ».

Ainsi, comme dans les jeux du cirque, le public joue le rôle d’une instance émotionnelle et décisionnelle qui dramatise la violence symbolique et les enjeux de la téléréalité. La caméra, le plus souvent subjective, imposera en outre une certaine forme de point de vue afin d’orienter les processus d’identification et de projection des spectateurs. Il y a donc bien dans la téléréalité une dimension scénique, c’est-à-dire la transformation du banal en théâtralité qui scénarise le réel par l’imbrication du narratif et du théâtral, du réel et du spectacle, de l’objectif et du subjectif. De plus, si la téléréalité est passionnante à regarder c’est qu’elle stimule paradoxalement l’individualisation alors qu’elle est basée sur la culture de masse. Avec son développement, le spectateur est en effet passé du spectacle de l’autre à la vision de soi selon une logique identificatoire, projective et narcissique.

Téléréalité et narcissisme

Jean-Louis Missika affirme à cet égard : « Aujourd’hui l’individualisme de « l’être soi-même », celui de la post-télévision, réclame la culture de la singularité, de la différence pour soi et de l’indifférence à la différence des autres. L’opinion est une expression de soi, elle prend une dimension plus narcissique que relationnelle ». Ce narcissisme se retrouve très bien dans la logique narrative de la téléréalité : un personnage indifférencié au départ (« Monsieur tout le monde ») devient LE héros. Il échappe au banal et au quotidien selon la logique du vedettariat et du star-system. John De Mol, créateur de Big Brother et patron d’Endemol Entertainment faisait à ce titre une confession hautement révélatrice : « Nous avons inventé un nouveau genre et montré que des individus ordinaires peuvent être des personnages intéressants : votre voisin de palier peut vous étonner ». Si la téléréalité suppose un ancrage dans le réel, c’est donc pour mieux valoriser une logique fantasmatique qui éloigne du réel et du quotidien, tout en prétendant en être proche.

Comme le rappelle Claude Cossette, « voir son image diffusée par les médias de masse est perçu de nos jours comme une manière d’exister ; nombre de citoyens sont prêts à afficher aux yeux de tous leurs vices les plus cachés, à laisser paraître leurs comportements les plus intimes, même les plus aberrants. Vivre devant les médias est vu comme la manière de vivre à fond. » starac.1238360640.jpgMais ce qu’on vit n’est pas la réalité, mais une réalité fictionnelle. Si Luc Dupont précise justement que « la téléréalité contribue à faire de la « célébrité » avec de « l’ordinaire », on pourrait ajouter ici que « l’ordinaire » repose sur une esthétique du « vraisemblable », sur un jeu théâtral auquel se prêtent les personnages et sans lequel la téléréalité n’existerait pas. En fait, toute l’originalité de la téléréalité réside dans son association avec la représentation théâtrale. Le vraisemblable n’est possible que dans la mesure où le réel procède à sa propre dramatisation.

La vision de la douleur de l’autre…
Jean Baudrillard remarquait en 2001 à propos de Loft Story que ce qui intéresse les gens « c’est le spectacle de la banalité, qui est aujourd’hui la véritable pornographie, la véritable obscénité ». Une telle logique est associée souvent à un certain désir de voir le spectacle de la douleur, de la misère conformément à un schéma à la fois voyeuriste et sadomasochiste : on va souffrir avec le héros, on va se sentir d’autant plus en communion avec lui qu’on vivra dans une société faite de solitude, d’individualisme ou d’égoïsme ; ou au contraire on cherchera par la vision de la douleur de l’autre à satisfaire des pulsions d’autoconservation et de défense du moi, qui passent par le mécanisme bien connu du refoulement.

Lorsque nous assistons par exemple au spectacle de la misère, du surendettement, de la violence, la compassion fait parfois place à un certain principe de plaisir qui oscille entre la satisfaction et l’interdit. Selon François Jost (op. cit.), les buts de la téléréalité « entrent en résonance soit avec les deux pulsions qui agitent l’inconscient humain, Eros et Thanatos, soit avec ce que le christianisme considère comme des péchés. Du côté d’Eros, les diverses variations autour du couple, du côté de Thanatos, les épreuves qui mettent la vie en danger ou qui sont fondées sur la répulsion […]. Quant aux péchés ou aux dix commandements, ils sont à l’origine de nombreux jeux de rôles, notamment la gourmandise (Big Diet, qui interdit aux candidats d’ouvrir des réfrigérateurs emplis de nourriture), l’infidélité (encouragée par l’Île de la Tentation) ». La téléréalité serait donc l’expression d’un conflit d’ambivalence entre le désir et la norme, les pulsions de vie et les pulsions de mort.

« Jail : Destination Prison »…

Je voudrais à ce titre insister sur un nouveau concept de téléréalité « pénale » importé des États-Unis, et qui permet par exemple de voir des gens en prison ou arrêtés par les chasseurs de prime. L’émission Jail : Destination Prison diffusée sur W9 est particulièrement intéressante. La chaîne présente ainsi le document : « Au règlement de l’établissement pénitentiaire dont le personnel surveillant est le garant, s’ajoutent les règles très violentes imposées par les détenus eux-mêmes ». Comme on le voit immédiatement, la présentation met davantage l’accent sur l’authenticité documentaire pour en légitimer la dimension « spectaculaire » et voyeuriste, évidemment difficile à accepter moralement : le spectateur cherchera donc à refouler la vision (sadique) de la violence (personnes arrêtées, attachées, dégradées, etc.). par une stratégie de légitimation (l’aspect documentaire et référentiel) qui substitue au plaisir interdit un dérivé acceptable : un reportage sur le système carcéral nord-américain, la loi, la justice fédérales, etc. La curiosité morbide et le voyeurisme se confondent alors avec la logique du documentaire et une certaine « morale de la bonne conscience ». Non seulement, le spectateur regarde les autres sans avoir le moindre contact avec eux, mais il peut en outre en devenir juge. L’aspect documentaire joue ainsi une fonction d’authentification et de légitimation qui n’est pas sans rappeler les fonctions de la tragédie : en s’identifiant aux personnages, le spectateur éprouve, en même temps qu’il les rejette, des passions génératrices de souffrance, qui sont à la base même de la Catharsis (ou purgation de passions).

François Jost quant à lui, a bien montré que si les gens regardent ce genre d’émissions, c’est que « la position du téléspectateur est par essence sadique, si l’on admet avec Freud que le sadisme consiste en une manifestation de puissance à l’encontre d’une autre personne prise comme un objet. […] S’il supporte de regarder avec avidité de telles images, c’est qu’il jouit de ne pas être là où les autres souffrent. » L’image de la réalité est ainsi « fictionnalisée » dans le but d’abuser le téléspectateur : le vrai devient le vraisemblable. L’important c’est d’y croire ! On pourrait insister à ce titre sur la dynamique et le rôle structurant de l’image, rôle joué par l’échange de regards, les mouvements de caméra assimilés à un point de vue subjectif (focalisation interne) : l’espace perspectif est en effet essentiel dans la téléréalité. La scène filmée n’est jamais « neutre » : elle devient un espace projectif permettant de construire et d’orienter le point de vue du téléspectateur. Le « faire voir » devient un « faire penser » caractéristique d’un dispositif énonciatif de manipulation du point de vue spectatoriel.

Image, simulacre et contrôle social

Comme nous l’avons compris, les émissions de téléréalité sont façonnées de bout en bout par des significations complexes faisant intervenir à la fois des dispositifs technologiques, matériels, psychologiques et humains qui tendent à faire de l’image une pure apparence : même la réalité devient spectacle et virtualité : le calvaire de la petite Colombienne Omeyra en 1985, noyée en direct dans la boue, a été l’exemple caractéristique d’une confusion entre le réel et le virtuel. Le développement de l’information spectacle amènerait ainsi à une certaine confusion entre le signe et l’objet représenté. À la télévision, on a l’impression que la misère, la mort, les guerres ne sont pas de vraies misères, de vraies morts, de vraies guerres : elles n’en sont que la représentation. L’orientation des émissions vers la manipulation de l’information est de plus en plus mise en œuvre à la télévision selon une logique de simulacre qui renvoie moins à la réalité qu’à son « faire voir » représentationnel et pulsionnel.

Jean-Louis Missika, dans La Fin de la télévision écrit par exemple : « Aujourd’hui encore plus qu’hier, les événements média sont pensés pour la mise en scène et la mise en images. Les codes et les formats du journalisme télévisé sont mobilisés pour produire quelque chose qui n’est plus tout à fait du journalisme. À côté, en face, voire à l’intérieur du journalisme, est apparu ce que le sociologue des médias Michael Schudson appelle le parajournalisme : firmes de relations publiques et de relations presse, directions de communication, services de presse, conseillers en communication, agences événementielles… et leaders politiques eux-mêmes qui consacrent de plus en plus de temps et d’efforts à une activité qu’on peut considérer comme journalistique, dans la mesure où ils s’efforcent de formater leurs messages selon les codes et les rituels de l’information télévisée ».

L’auteur rapporte par exemple une anecdote intéressante : »Le New York Times a révélé […] que l’Administration Bush avait systématisé cette production télévisuelle parajournalistique, et surtout avait su s’adapter à la nouvelle demande des médias en dissimulant l’origine gouvernementale de l’information […] les frontières traditionnelles entre relations publiques et journalisme sont devenues floues ». La disparition du journalisme traditionnel hérité du dix-neuvième siècle est donc à mettre en parallèle avec l’apparition de modèles communicationnels visant à encadrer l’opinion selon une logique de contrôle social. Comme le rappelle Jean-Louis Missika, « le format et les codes du sujet d’information télévisée sont devenus de pures formes qui se vident progressivement de leur substance et de leur sens ».

Conclusion

Qu’en sera-t-il dans un avenir proche ? Que cherchera-t-on à faire voir ? Abraham Moles posait en 1986 une affirmation qui mérite d’être méditée : « l’existence de ce cycle socioculturel d’auto-amplification de la banalité, vient, à perpétuité, renforcer la norme au détriment de la déviation. Tout système technologique qui favorise la montée des mass media d’arrosage [la télévision] sur un champ social global où la distance ne compte plus, se trouve renforcer les structures régaliennes à longue échéance. […] C’est l’image d’une société câblée où le mot même de « société » perd son sens historique puisqu’il s’agit d’un tissu social indéfini, sans frontières précises, en tout cas indéfiniment extensible, et où la présence est remplacée fondamentalement par la téléprésence. »

© Bruno Rigolt, Lycée en Forêt (Montargis, France)
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Bibliographie

  • Luc Dupont, Téléréalité (Les Presses Universitaires de Montréal, 2007)
  • Hélène Duccini, La Télévision et ses mises en scène (A. Colin, Paris 2005)
  • François Jost, La Télévision du quotidien entre réalité et fiction (De Boeck/INA 2003)
  • Jean-Louis Missika, La Fin de la télévision (Seuil « La République des Idées », Paris 2006)
  • Abraham Moles, Théorie structurale de la Communication et Société (Masson, Paris 1986)
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Thème 2009 du BTS… « Faire voir » : téléréalité, mise en scène et simulacre

bts2009.1232872062.jpgDe la télévision traditionnelle à la téléréalité…

Luc Dupont, dans Téléréalité (Les Presses Universitaires de Montréal, 2007) cite cette phrase d’Andy Warhol : « Dans un monde caractérisé par l’avènement du marketing de masse, de la télévision, de la presse et de la commercialisation des célébrités, chaque personne pourra être célèbre quinze minutes ». De tels propos, non dénués d’humour, posent très bien la question de la téléréalité. Selon Luc Dupont, elle « a transformé l’univers de la télévision grand public. Cette formule, qualifiée de « cinéma-vérité à la Orwell » par le New York Times, remporte partout un franc succès ». Culturellement et socialement, la téléréalité joue en effet un rôle fondamental dans la société moderne dont elle reflète les représentations, les croyances ou les fantasmes. Construite sur des représentations et des mythes inscrits dans l’inconscient collectif, elle remet non seulement en question la place de l’intime dans notre société, mais elle bouleverse la télévision traditionnelle. Apparue au cours des années 1980 dans un contexte de déréglementation et de fragmentation des auditoires, elle est devenue un véritable phénomène de société. Le but de ce support de cours est donc de mettre en perspective la téléréalité et les mécanismes par lesquels une société se donne en spectacle au point d’abolir de façon souvent inquiétante la frontière entre la fiction et le réel, le privé, l’intime et le public.

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BTS  2009 : « Faire voir »

Téléréalité,

Mise en scène et simulacre.

« Après une certaine éclipse des reality-shows à la fin des années 1990, on assiste aujourd’hui, sous l’influence des émissions de real TV américaine, au retour de ce type de spectacle. La part des anonymes dans les spectacles télévisuels ne cesse de croître. » Cette phrase de Luc Dupont pose bien les enjeux de la téléréalité : en un sens, elle consacre le triomphe de la banalité, de l’anonymat, des gens ordinaires. Elle est donc un indicateur non seulement sur les mutations de la télévision et des médias, mais elle est au centre des transformations qui affectent la société elle-même.

Vrai et Vraisemblable

Pour Luc Dupont, « Le discours de la téléréalité est d’autant plus important qu’il est omniprésent […] et qu’il suggère généralement la vraisemblance de l’histoire racontée tout en rendant très humains les personnages ». En cherchant à décrire la vie quotidienne tout en la scénarisant selon une logique mélodramatique caractérisée souvent par ltelerealite.1238360227.jpge pathétique, le sentimentalisme et l’insertion de situations invraisemblables dans une réalité qui se prétend authentique et vraie, la téléréalité reprend en effet le schéma des sitcoms en présentant des personnages outrés dans des situations réelles pour amuser, émouvoir ou scandaliser le grand public. On montrera par exemple le choc des générations (Vis ma vie, Koh-Lanta), les relations entre les hommes et les femmes (Maman cherche l’amour, Le Bonheur est dans le pré), le statut social et la convivialité (Un dîner presque parfait), les styles de vie (Chéri, je change de famille ; Super Nanny), les besoins primaires (C’est du Propre !), la sexualité (Next), etc.

Les émissions de téléréalité traitent donc de thèmes qui interpellent directement les gens dans leur vie quotidienne selon des mécanismes d’identification, de projection et d’appartenance sociale très stéréotypés : les situations présentées sont en effet d’autant plus acceptées par le public qu’elles sont banales et qu’elles mettent en scène selon une logique narrative (le but est de « raconter une histoire ») des individus très sociotypés aux tendances comportementales clairement identifiables et souvent manichéennes : le méchant, le gentil, le pauvre, le riche, le radin, la femme fatale, la provocante, la dépensière compulsive, etc.

Le schéma actantiel de la téléréalité

Le « rôle » des personnages dans la téléréalité est essentiel et l’on pourrait étudier ici ces émissions selon la logique du modèle actantiel proposé par Greimas à la fin des années 60. Ce modèle permet d’étudier dans une histoire (réelle ou thématisée) l’ensemble des forces (les « actants ») qui structurent l’action. Appliqué à la téléréalité, le schéma actantiel offre des perspectives très intéressantes : la Real TV fonctionne en effet selon une logique « actantielle » proprement conflictuelle : on peut étudier l’ensemble des rôles (les actants) et des relations qui ont pour fonction d’organiser le scénario : un personnage anonyme et banal à la base [le sujet] devient ainsi le héros qui doit accomplir une « mission ». Celle-ci consiste à parvenir à l’élimination d’un problème, d’une difficulté, d’un manque (se relooker pour plaire, séduire, acheter un appartement, s’enrichir, etc.). Il poursuit donc la quête d’un objet, réel ou symbolique (voir à ce sujet la pyramide des besoins de Maslow). Les besoins non réels sont à mon sens les plus importants dans la téléréalité parce qu’ils renvoient au désir d’intégration, d’appartenance sociale, d’estime de soi, d’accomplissement, si essentiels dans la société de consommation. 

On doit également étudier ce qui pousse le sujet à agir ainsi (le destinateur dans le schéma de Greimas) : cela peut être une personne réelle, mais le plus souvent il s’agira d’un sentiment, d’une idée : le désir d’être reconnu, d’accéder à la célébrité par exemple. Quant au destinataire, c’est l’élément en faveur de qui la quête doit être accomplie : il est donc mis en valeur à la fin de l’émission. Ainsi dans Secret Story ou l’Île de la Tentation, pour ne citer que ces deux émissions, on cherchera à retarder au maximum la révélation de l’objet recherché par le sujet afin de dramatiser les enjeux de la quête. Dans les émissions de téléréalité, on peut également observer facilement la confrontation du héros avec les personnages, événements, ou objets positifs qui l’aident dans sa quête (les adjuvants), ou au contraire qui cherchent à en empêcher la progression (les « opposants »). Le rôle des opposants et des adjuvants est essentiel dans la téléréalité parce qu’il met en jeu la dynamique des points de vue. Il n’y a pas « un » schéma actantiel mais bien entendu plusieurs selon la subjectivité et l’arbitraire de la caméra, des participants, des spectateurs, etc.

La « théâtralisation » du réel : l’opposition du profane et du sacré

C’est cette logique de mise en scène, à la fois théâtrale, dramatique et proprement conflictuelle qui fait l’intérêt de la téléréalité : le spectateur peut ainsi s’évader de son quotidien et vivre, parfois en direct, une aventure largement fictionnalisée qui s’apparente à une quête, et dont il aura l’impression de décider du déroulement. François Jost (dans La Télévision du quotidien entre réalité et fiction) a montré combien la téléréalité permettait un passage du profane au sacré. Selon lui, « cette relation du profane et du sacré est devenue un trait obligé de cette télévision de jeux de rôles ». De fait, la téléréalité est basée sur la « mise en scène » et la spectacularisation de l’événement. Prenons le cas de Secret Story : comme dans la citrouille-carosse du conte, le banal est transformé selon un archétype symbolique qui valorise l’espace sacré en isolant les candidats du reste du monde. Cette logique se retrouve également dans Koh-Lanta où les lieux sont souvent marqués par des symboles de consécration des territoires (les « Tayak » rouges et les « Mingao » jaunes) et des épreuves initiatiques selon un calendrier sacré et ritualisé (les épreuves, le conseil, etc.).

On pourrait aussi insister sur l’importante fonction totémique de certains objets ou logos. Dans Koh-Lanta par exemple, les tribus, conçues en fonction de l’âge des participants, sont à la base d’un scénario initiatique : celui qui a gagné l’épreuve d’immunité reçoit un « totem » empreint d’une forte dimension symbolique : non seulement il représente le logo, donc l’identité visuelle de l’émission, mais plus fondamentalement il est associé à des significations astrales oniriques ou inconscientes face à l’angoisse du temps et de la mort : l’ultime épreuve qui consiste à tenir le plus longtemps sur un pilier immergé dans l’océan est hautement symbolique : Gilbert Durand avait bien montré dans les Structures anthropologiques de l’imaginaire combien le schème de la posture verticale est associé à une attitude de conquête, de transcendance, de recherche de la pureté et de l’immunité. De même, c’est à dessein que la caméra et la prise de son avant le « Conseil » insisteront sur les symboles nocturnes en les dramatisant : la lune, la nuit, les cris de bêtes, etc. créent tout un imaginaire de la monstruosité qui renvoie à l’opposition profane/sacré que je soulignais tout à l’heure.

Le rôle du public

Hélène Duccini, dans La Télévision et ses mises en scène (A. Colin, Paris 2005) souligne quant à elle l’importance du public dans les émissions de téléréalité : « Pendant longtemps, les plateaux de télévision, tout comme la scène du théâtre, étaient réservés aux professionnels, journalistes, animateurs, comédiens, vedettes des variétés, complétés par les experts et les témoins. Mais progressivement, dans les années soixante-dix, l’habitude s’est prise d’ouvrir les studios à un public, dont on peut définir le rôle en fonction de son degré de participation au spectacle. Il existe un public-décor : assis sur des sièges généralement placés sur des gradins, il meuble le fond et les côtés du plateau. […] Ce public fait modèle, il tient la place des téléspectateurs absents ». Hélène Duccini ajoute que « le public des tribunes peut ainsi jouer le rôle de faire-valoir. […] Mais le public peut avoir un rôle plus actif : composé de supporters, il participe au spectacle en applaudissant, sagement ou de façon exubérante, en sifflant, en huant ».

Ainsi, comme dans les jeux du cirque, le public joue le rôle d’une instance émotionnelle et décisionnelle qui dramatise la violence symbolique et les enjeux de la téléréalité. La caméra, le plus souvent subjective, imposera en outre une certaine forme de point de vue afin d’orienter les processus d’identification et de projection des spectateurs. Il y a donc bien dans la téléréalité une dimension scénique, c’est-à-dire la transformation du banal en théâtralité qui scénarise le réel par l’imbrication du narratif et du théâtral, du réel et du spectacle, de l’objectif et du subjectif. De plus, si la téléréalité est passionnante à regarder c’est qu’elle stimule paradoxalement l’individualisation alors qu’elle est basée sur la culture de masse. Avec son développement, le spectateur est en effet passé du spectacle de l’autre à la vision de soi selon une logique identificatoire, projective et narcissique.

Téléréalité et narcissisme

Jean-Louis Missika affirme à cet égard : « Aujourd’hui l’individualisme de « l’être soi-même », celui de la post-télévision, réclame la culture de la singularité, de la différence pour soi et de l’indifférence à la différence des autres. L’opinion est une expression de soi, elle prend une dimension plus narcissique que relationnelle ». Ce narcissisme se retrouve très bien dans la logique narrative de la téléréalité : un personnage indifférencié au départ (« Monsieur tout le monde ») devient LE héros. Il échappe au banal et au quotidien selon la logique du vedettariat et du star-system. John De Mol, créateur de Big Brother et patron d’Endemol Entertainment faisait à ce titre une confession hautement révélatrice : « Nous avons inventé un nouveau genre et montré que des individus ordinaires peuvent être des personnages intéressants : votre voisin de palier peut vous étonner ». Si la téléréalité suppose un ancrage dans le réel, c’est donc pour mieux valoriser une logique fantasmatique qui éloigne du réel et du quotidien, tout en prétendant en être proche.

Comme le rappelle Claude Cossette, « voir son image diffusée par les médias de masse est perçu de nos jours comme une manière d’exister ; nombre de citoyens sont prêts à afficher aux yeux de tous leurs vices les plus cachés, à laisser paraître leurs comportements les plus intimes, même les plus aberrants. Vivre devant les médias est vu comme la manière de vivre à fond. » starac.1238360640.jpgMais ce qu’on vit n’est pas la réalité, mais une réalité fictionnelle. Si Luc Dupont précise justement que « la téléréalité contribue à faire de la « célébrité » avec de « l’ordinaire », on pourrait ajouter ici que « l’ordinaire » repose sur une esthétique du « vraisemblable », sur un jeu théâtral auquel se prêtent les personnages et sans lequel la téléréalité n’existerait pas. En fait, toute l’originalité de la téléréalité réside dans son association avec la représentation théâtrale. Le vraisemblable n’est possible que dans la mesure où le réel procède à sa propre dramatisation.

La vision de la douleur de l’autre…

Jean Baudrillard remarquait en 2001 à propos de Loft Story que ce qui intéresse les gens « c’est le spectacle de la banalité, qui est aujourd’hui la véritable pornographie, la véritable obscénité ». Une telle logique est associée souvent à un certain désir de voir le spectacle de la douleur, de la misère conformément à un schéma à la fois voyeuriste et sadomasochiste : on va souffrir avec le héros, on va se sentir d’autant plus en communion avec lui qu’on vivra dans une société faite de solitude, d’individualisme ou d’égoïsme ; ou au contraire on cherchera par la vision de la douleur de l’autre à satisfaire des pulsions d’autoconservation et de défense du moi, qui passent par le mécanisme bien connu du refoulement.

Lorsque nous assistons par exemple au spectacle de la misère, du surendettement, de la violence, la compassion fait parfois place à un certain principe de plaisir qui oscille entre la satisfaction et l’interdit. Selon François Jost (op. cit.), les buts de la téléréalité « entrent en résonance soit avec les deux pulsions qui agitent l’inconscient humain, Eros et Thanatos, soit avec ce que le christianisme considère comme des péchés. Du côté d’Eros, les diverses variations autour du couple, du côté de Thanatos, les épreuves qui mettent la vie en danger ou qui sont fondées sur la répulsion […]. Quant aux péchés ou aux dix commandements, ils sont à l’origine de nombreux jeux de rôles, notamment la gourmandise (Big Diet, qui interdit aux candidats d’ouvrir des réfrigérateurs emplis de nourriture), l’infidélité (encouragée par l’Île de la Tentation) ». La téléréalité serait donc l’expression d’un conflit d’ambivalence entre le désir et la norme, les pulsions de vie et les pulsions de mort.

« Jail : Destination Prison »…

Je voudrais à ce titre insister sur un nouveau concept de téléréalité « pénale » importé des États-Unis, et qui permet par exemple de voir des gens en prison ou arrêtés par les chasseurs de prime. L’émission Jail : Destination Prison diffusée sur W9 est particulièrement intéressante. La chaîne présente ainsi le document : « Au règlement de l’établissement pénitentiaire dont le personnel surveillant est le garant, s’ajoutent les règles très violentes imposées par les détenus eux-mêmes ». Comme on le voit immédiatement, la présentation met davantage l’accent sur l’authenticité documentaire pour en légitimer la dimension « spectaculaire » et voyeuriste, évidemment difficile à accepter moralement : le spectateur cherchera donc à refouler la vision (sadique) de la violence (personnes arrêtées, attachées, dégradées, etc.). par une stratégie de légitimation (l’aspect documentaire et référentiel) qui substitue au plaisir interdit un dérivé acceptable : un reportage sur le système carcéral nord-américain, la loi, la justice fédérales, etc. La curiosité morbide et le voyeurisme se confondent alors avec la logique du documentaire et une certaine « morale de la bonne conscience ». Non seulement, le spectateur regarde les autres sans avoir le moindre contact avec eux, mais il peut en outre en devenir juge. L’aspect documentaire joue ainsi une fonction d’authentification et de légitimation qui n’est pas sans rappeler les fonctions de la tragédie : en s’identifiant aux personnages, le spectateur éprouve, en même temps qu’il les rejette, des passions génératrices de souffrance, qui sont à la base même de la Catharsis (ou purgation de passions).

François Jost quant à lui, a bien montré que si les gens regardent ce genre d’émissions, c’est que « la position du téléspectateur est par essence sadique, si l’on admet avec Freud que le sadisme consiste en une manifestation de puissance à l’encontre d’une autre personne prise comme un objet. […] S’il supporte de regarder avec avidité de telles images, c’est qu’il jouit de ne pas être là où les autres souffrent. » L’image de la réalité est ainsi « fictionnalisée » dans le but d’abuser le téléspectateur : le vrai devient le vraisemblable. L’important c’est d’y croire ! On pourrait insister à ce titre sur la dynamique et le rôle structurant de l’image, rôle joué par l’échange de regards, les mouvements de caméra assimilés à un point de vue subjectif (focalisation interne) : l’espace perspectif est en effet essentiel dans la téléréalité. La scène filmée n’est jamais « neutre » : elle devient un espace projectif permettant de construire et d’orienter le point de vue du téléspectateur. Le « faire voir » devient un « faire penser » caractéristique d’un dispositif énonciatif de manipulation du point de vue spectatoriel.

Image, simulacre et contrôle social

Comme nous l’avons compris, les émissions de téléréalité sont façonnées de bout en bout par des significations complexes faisant intervenir à la fois des dispositifs technologiques, matériels, psychologiques et humains qui tendent à faire de l’image une pure apparence : même la réalité devient spectacle et virtualité : le calvaire de la petite Colombienne Omeyra en 1985, noyée en direct dans la boue, a été l’exemple caractéristique d’une confusion entre le réel et le virtuel. Le développement de l’information spectacle amènerait ainsi à une certaine confusion entre le signe et l’objet représenté. À la télévision, on a l’impression que la misère, la mort, les guerres ne sont pas de vraies misères, de vraies morts, de vraies guerres : elles n’en sont que la représentation. L’orientation des émissions vers la manipulation de l’information est de plus en plus mise en œuvre à la télévision selon une logique de simulacre qui renvoie moins à la réalité qu’à son « faire voir » représentationnel et pulsionnel.

Jean-Louis Missika, dans La Fin de la télévision écrit par exemple : « Aujourd’hui encore plus qu’hier, les événements média sont pensés pour la mise en scène et la mise en images. Les codes et les formats du journalisme télévisé sont mobilisés pour produire quelque chose qui n’est plus tout à fait du journalisme. À côté, en face, voire à l’intérieur du journalisme, est apparu ce que le sociologue des médias Michael Schudson appelle le parajournalisme : firmes de relations publiques et de relations presse, directions de communication, services de presse, conseillers en communication, agences événementielles… et leaders politiques eux-mêmes qui consacrent de plus en plus de temps et d’efforts à une activité qu’on peut considérer comme journalistique, dans la mesure où ils s’efforcent de formater leurs messages selon les codes et les rituels de l’information télévisée ».

L’auteur rapporte par exemple une anecdote intéressante : »Le New York Times a révélé […] que l’Administration Bush avait systématisé cette production télévisuelle parajournalistique, et surtout avait su s’adapter à la nouvelle demande des médias en dissimulant l’origine gouvernementale de l’information […] les frontières traditionnelles entre relations publiques et journalisme sont devenues floues ». La disparition du journalisme traditionnel hérité du dix-neuvième siècle est donc à mettre en parallèle avec l’apparition de modèles communicationnels visant à encadrer l’opinion selon une logique de contrôle social. Comme le rappelle Jean-Louis Missika, « le format et les codes du sujet d’information télévisée sont devenus de pures formes qui se vident progressivement de leur substance et de leur sens ».

Conclusion

Qu’en sera-t-il dans un avenir proche ? Que cherchera-t-on à faire voir ? Abraham Moles posait en 1986 une affirmation qui mérite d’être méditée : « l’existence de ce cycle socioculturel d’auto-amplification de la banalité, vient, à perpétuité, renforcer la norme au détriment de la déviation. Tout système technologique qui favorise la montée des mass media d’arrosage [la télévision] sur un champ social global où la distance ne compte plus, se trouve renforcer les structures régaliennes à longue échéance. […] C’est l’image d’une société câblée où le mot même de « société » perd son sens historique puisqu’il s’agit d’un tissu social indéfini, sans frontières précises, en tout cas indéfiniment extensible, et où la présence est remplacée fondamentalement par la téléprésence. »

© Bruno Rigolt, Lycée en Forêt (Montargis, France)

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Bibliographie

  • Luc Dupont, Téléréalité (Les Presses Universitaires de Montréal, 2007)
  • Hélène Duccini, La Télévision et ses mises en scène (A. Colin, Paris 2005)
  • François Jost, La Télévision du quotidien entre réalité et fiction (De Boeck/INA 2003)
  • Jean-Louis Missika, La Fin de la télévision (Seuil « La République des Idées », Paris 2006)
  • Abraham Moles, Théorie structurale de la Communication et Société (Masson, Paris 1986)
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Examen du BTS : Épistémologie du Détour

Le thème du détour (Thème BTS jusqu’à la session 2010) impose une réflexion approfondie sur la mutation en cours des systèmes sociaux et des modèles communicationnels, particulièrement en période de crise où les attitudes en face de l’avenir divergent parfois profondément… Cet article n’a d’autre but que d’inviter les étudiant(e)s à réfléchir à l’homme d’aujourd’hui devant son destin : la problématique du détour ne doit-elle pas être envisagée comme un appel à une transformation morale de l’humanité ?

Vers une Sociologie

du Détour…

 « La nature parvient à son but
par le plus court chemin- certes,
mais le chemin de l’esprit
est la médiation, le détour. »

Hegel,
Leçons sur l’Histoire de la Philosophie

              

Georges Balandier fit paraître en 1985 un essai intitulé Le Détour, Pouvoir et modernité (*). Dans cet ouvrage, l’auteur montre en quoi notre modernité introduit une vision instrumentale du monde : selon lui, tout tendrait à être évalué en termes de « fonctionnement » et de « rationalité ». La science elle-même, devenue toute puissante depuis la Révolution industrielle, aurait ordonné le monde selon une linéarité induisant des comportements de plus en plus semblables et prévisibles, et conséquemment des besoins de plus en plus identiques.

En ce sens, la modernité comme idéologie, serait un anti-humanisme : en prônant l’égalitarisme avec la montée de l’exigence démocratique, elle aboutirait paradoxalement, d’une part à la massification et au conformisme de masse entrevu par Nietzsche, et d’autre part au repli sur la sphère privée, caractéristique de l’individualisme moderne. La crise que nous traversons invite à ce titre à une intéressante réflexion sur les contradictions et les carences de notre modernité, et donc du principe évolutionniste : sommes-nous allés trop loin ? Nous sommes-nous trompés de route parce que nous la cherchions en aveugles ? Le détour ne s’impose-t-il pas comme une évidence morale ? Est-il encore temps d’inventer un nouveau « Contrat social » ?

Les métamorphoses de la démocratie

La citation d’Hegel, que j’ai placée en tête de cet article est à ce titre essentielle. Selon le philosophe en effet, « le chemin de l’esprit », c’est-à-dire la conscience que l’homme a de sa liberté, passe par « la médiation, le détour », autrement dit la reconstruction d’un « sens de l’histoire » selon une démarche critique qui affirme le principe moral de l’engagement et de la liberté politique. Or toute la difficulté de notre modernité, tient au fait que nous voulons vivre dans un monde « sans histoire » au propre comme au figuré !

Car c’est bien l’idée même de démocratie qui fait aujourd’hui problème. Paul Valéry ne croyait pas si bien dire en affirmant que « Toute politique se fonde sur l’indifférence de la plupart des intéressés ». De fait, les nouveaux modèles communicationnels apparus dans les années 1980 avec le développement des technologies numériques ont considérablement réduit le champ social à sa dimension émotionnelle, affective ou technique.

Abraham Moles, dans sa Théorie structurale de la communication (**) affirmait dès 1986 : « La société est remplacée par un « système social », car le terme même de « société » impliquait un contrat social entre l’Individu et les Autres, avec un échange réciproque d’obligations, contrat non signé mais contrat de fait ; celui-ci disparaît du champ de conscience des membres. Il est remplacé par la perception du système, un système que l’on doit considérer comme cadre matériel de l’existence de l’individu, il obéit aux lois que la cybernétique et la théorie des réseaux nous proposent, mais son élément fondamental est la relation avec l’environnement, un environnement constitué bien plus par des organismes et des institutions, des appareillages de communication et des structures, que par des individus humains au sens traditionnel ».

Cet éclatement du champ social souligné par A. Moles suggère bien évidemment l’idée d’une « démocratie occulte » comme nouvelle théorie du modèle social. Il s’ensuit qu’un réflexe d’autoconservation pousse les populations à valoriser de plus en plus tout système qui diminue leurs tensions internes et implique une certaine stabilité dans les opinions et les comportements : d’où une allergie d’engagement global, particulièrement chez les jeunes, qui prend son sens relativement à l’incertitude de l’avenir, et investit préférentiellement une socialité en réseau définie par la marginalité.

D’ailleurs, l’intégration sociale de nos jours n’est plus institutionnelle comme par le passé, elle devient de plus en plus fonctionnelle, technique. Le principe constitutif des sociétés postindustrielles réside ainsi dans la montée en puissance d’une démocratie occulte où la notion de « société », au sens humain, politique ou social est remplacée par une vision systémique du monde.

Le détour comme nouveau « contrat social »…

La société de « l’opulence communicationnelle » (A. Moles) dans laquelle nous sommes entrés est donc construite sur la base d’une théorie systémique. Il lui manque d’être humaine ; c’est bien là que réside le problème : la modernité évoluera sans doute vers un espace technicien assez contraignant pour les populations dans la mesure où le cadre institutionnel que nous connaissions tend de plus en plus à disparaître au profit d’un cadre économico-sécuritaire : fusion entre technique et domination, entre rationalité et oppression.

Or, dans toute société globale où les gouvernements n’expriment pas ou ne représentent pas la communauté morale des citoyens mais où manque, au con­traire, un véritable consensus moral, la nature de l’obligation politique devient systématiquement indistincte. La faiblesse d’un tel système réside en effet dans sa contra­diction interne : la société de la communication est en fait une société muette : elle décrit une histoire dans laquelle manque le problème historique ; c’est à une dévitalisation du social que nous sommes confrontés (***).

Le détour s’impose donc comme nécessité. Sur le plan épistémologique, il oblige à une mise en question de notre modernité et de nos modèles civilisationnels. En exploitant son expérience d’anthropologue, Georges Balandier faisait très justement remarquer que « le vrai détour est celui qui affecte la démarche anthropologique, seul apport à l’intelligibilité des ensembles sociaux et culturels « autres », longtemps ignorés ou méconnus ».

Cela revient à dire qu’il faut envisager le détour par les autres : se détourner de ses ethnocentrismes est parfois la meilleure façon de se chercher soi-même ; pour se trouver, il faut passer par l’autre. Tout l’art du détour, dans des sociétés dominées par la logique de l’information balandier1.1238330404.jpget de la communication, réside ainsi dans la capacité de l’homme à repenser la problématique sociale. En ce vingt-et-unième siècle, il est nécessaire de rappeler combien une société, qui ne résulterait que de la théorie des systèmes et totalement indifférente à l’humain, ne peut humainement survivre, du fait même de sa limitation intrinsèque.

Avant de conclure, je citerai les dernières lignes du très bel essai de Balandier (Fenêtres sur un nouvel âge), qui ont valeur d’avertissement sur la mutation en cours de notre modèle social et des enjeux qu’elle implique : « La modernité est une aventure, une avancée vers des espaces sociaux et culturels pour une large part inconnus, une progression dans un temps de ruptures, de tensions et de mutations. […] Le détour anthropologique met une expérience et une connaissance au service de cet apprentissage. Il peut contribuer à l’orientation du parcours, de ce voyage qui a une fonction initiatique, car il contraint à se transformer à mesure que s’effectue la découverte des lieux de la grande transformation » (****).

Conclusion

Comme on le voit, réfléchir au détour, c’est s’ouvrir à l’horizon, au monde et au sens même de l’Histoire. Dans ce monde ouvert à la grande aventure de la modernité, le détour n’est ni une dérive ni un retour en arrière. Paradoxalement, la force d’une sociologie du détour est de refuser, pour mieux pouvoir affirmer. Face à l’aspiration d’ordonner le sens de l’Histoire selon un point fixe, le concept de détour oblige à multiplier les points de vue, à ouvrir davantage de possibles, à détourner les sens constitués… Dans un monde multipolaire où « tout va en tous sens », la force même d’une réflexion sur le détour est justement de s’approprier la recherche d’un sens…

© Bruno Rigolt, mars 2009
Lycée en Forêt (Montargis, France)

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NOTES

(*) Georges Balandier, Le Détour, pouvoir et modernité (Fayard, Paris 1985)
(**) Abraham Moles, Théorie structurale de la communication et société (Masson, Paris 1986)
(***) certains points de cette analyse sont librement adaptés de l’article « Désarmement et morale » que j’ai rédigé en 1990 pour la revue Stratégique (n°48);
(****) Georges Balandier, Fenêtres sur un nouvel âge, 2006-2007 (Fayard, paris 2008)

 

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Les élèves ont du talent… Le concours de nouvelles 2009 par la classe de Seconde 12…

Retrouvez chaque semaine un nouveau texte !
La classe de Seconde 12 s’est particulièrement investie dans le concours de nouvelles proposé par le Salon du livre du Montargois. Le sujet était libre mais l’écriture comportait deux contraintes : commencer obligatoirement par l’UNE de ces deux phrases : “Il était près de midi, et elle n’avait toujours pas donné signe de vie.” OU “Il avait la passion des vieilles pierres.”… et se terminer obligatoirement par l’UNE de ces deux phrases : “Il y eut affluence comme aux fêtes de fin d’année.” OU “Mais un père est un père et je suis sincèrement désolé.”
Challenge réussi pour la Seconde 12 ! Découvrez chaque semaine un texte particulièrement marquant. Aujourd’hui, laissez-vous emporter par la nouvelle de Kristina, élève allemande de la Seconde 12 qui vient de Greven, la ville jumelée avec Montargis… Comme vous allez le voir, non seulement Kristina maîtrise très bien notre langue, mais elle a su dans cette histoire bouleversante et pathétique évoquer magnifiquement les retrouvailles d’un fils et d’un père. L’action se situe à Tralee, en Irlande…
  

Un été

au bord des larmes

par Kristina S…

Il avait la passion des vieilles pierres. Lui, il était comme les vieilles pierres : ses yeux ne montraient rien que le vide : bleus et clairs (et dangereux). Je me trouvais juste à côté de lui et son souffle salin, qui étourdissait mes sens, venait vers moi comme un flot d’air de la mer. Ses vapeurs lourdes et tièdes m’entouraient, et chaque fois qu’il expirait, elles pénétraient encore plus mes poumons. tralee.1237923542.jpgC’était comme si cet homme regardait à travers moi, comme s’il me déchiffrait à travers le brouillard qui s’accumulait dans mon âme. J’ai eu même à un moment l’impression d’être composé d’air salin, bercé par l’invisible mer de ses yeux, sans contrôle aucun.

Tout à coup mon père se secoue et se précipite dehors… La porte se ferme brusquement. Tout ce qui restait, c’était moi avec beaucoup de peur et en même temps une incroyable admiration, ou du dépit, je ne sais pas. Je compris qu’il ne viendrait pas avec nous. Dans le couloir, j’ai vu deux valises : une pour moi, l’autre pour ma mère. Je savais bien aussi qu’il ne voudrait pas parler de ça, pas avec moi en tout cas ! N’importe : il suffisait de regarder le visage de ma mère pour savoir à quoi elle pensait, pourquoi elle souffrait. Pourtant ma mère est quelqu’un de vivant, quelqu’un de passionnant. Mais dans cette maison elle dépérissait, comme une fleur sans lumière… De quoi un homme a-t-il besoin ? Dans tous les cas, ma mère n’aurait pu le lui apporter… Oui, je comprenais qu’elle souffrait. Je comprenais de toute façon beaucoup en ce temps-là. Une chose restait pourtant mystérieuse : si ce dont ma mère avait tant besoin n’existait pas ici, qu’est-ce que mon père désirait ?

Le jour où nous sommes partis était un dimanche  orageux. Maman a appelé un taxi… Nous nous sommes assis au salon jusqu’à son arrivée. Elle m’a dit qu’elle avait trouvé du travail à Tralee, la grande ville la plus proche, et que tout deviendrait meilleur maintenant. Je n’ai pas eu l’impression qu’il y aurait quelque chose de cette existence qui me manquerait, mais j’étais quand même curieux de connaître cette « nouvelle vie ». Le taxi est arrivé, nous y sommes montés. Fin. Le dernier souvenir de ma vie dans la petite maison au bord de la mer, ce sont quelques larmes : mon père était assis sur une pierre avec vue sur le mugissant lointain. Il n’est pas venu pour nous dire « au revoir ». Il ne nous a même pas suivis des yeux. Mais je crois qu’il pensait à nous…

Je m’appelle Peter et j’ai vingt-six ans. Depuis mes dix ans, ma vie s’écoule à Tralee, au sud-ouest de l’Irlande. Le temps d’avant s’estompe dans ma mémoire : un morceau de temps déchiré de ma vie, un morceau de dix années… Pas plus que ça. Ma vie quotidienne ne se détache pas beaucoup de celle des autres : le travail et un peu de temps libre pour sortir avec les copains, histoire de boire une bière ou deux… tralee2.1237923588.jpgEst-ce que c’est ça la vie ? Les dimanches sont tristes comme des rendez-vous manqués. Ils s’en vont à la campagne pour rendre visite à leur famille…

Un souvenir me revient en mémoire… Le bar était vide, à part quelques ombres qui avaient échoué leurs malheurs dans leurs yeux de hasard ou à cause de l’alcool… Je me suis senti mal à l’aise : je ne suis pas une personne triste, et je n’ai pas non plus l’intention de le devenir ! En buvant ma bière qui devait m’aider à chasser ce petit chagrin passager, j’ai regardé autour de moi : d’abord John, dans le coin gauche ; sa femme l’a un jour flanqué à la porte après la troisième fois qu’il était revenu totalement saoul, à six heures du matin. Puis Henry, le barman, un type monstrueux, mais pas méchant pour deux sous. Mais mon regard se posa finalement sur un homme assis trois chaises plus loin, avec la tête baissée.

Le vertige se propageait en moi : ce n’était quand même pas cette bière insignifiante… Je me suis repris un peu, j’ai levé mes yeux, j’ai compté les chaises jusqu’à cet homme, mon regard a suivi la courbe de son dos, le mouvement de sa nuque, ses cheveux, et ce visage qui se tourne lentement,  le visage de mon père : ses yeux semblaient me regarder pour la première fois, et des rides supplémentaires avaient creusé son front… je n’ai même pas eu le temps d’achever mes pensées… J’ai remarqué que lui aussi me fixait, qu’il s’était levé pour me parler…

Il s’est avancé vers moi, calmement. Mais dans ma tête, les questions se sont empilées : pourquoi ? Et comme s’il répondait à mes pensées, j’ai entendu très distinctement le son de sa voix : « Je suis ici pour toi ». « Bonsoir Papa » fut ma réponse. Il ne disait rien. « Ecoute Papa, tu n’as pas à t’excuser »… Tout le monde n’a pas besoin des mêmes choses pour être heureux, mais nous tous désirons un peu d’amour…  Je n’ai plus jamais revu mon père, après ce soir-là, mais je sais qu’il pense à moi. Moi aussi je songerai à lui : ses derniers mots furent comme un exil : « Mais un père est un père et je suis sincèrement désolé ».

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Guide méthodologique d'aide à l'expression écrite. Corrigé et entraînement n°2…

Classes de Première…

Voici le corrigé du premier exercice et le deuxième exercice (à rendre jeudi 26 mars). Désolé pour ce léger retard mais j’ai tenu compte d’une part des mouvements sociaux empêchant certains élèves de me rendre à temps leur travail lors du cours de Français le jeudi 19 mars. Par ailleurs l’organisation du Salon du Livre de Montargis où toutes les classes exposent, ainsi que la préparation de la Journée Portes Ouvertes m’ont demandé un très lourd investissement.
Rappel du calendrier d’entraînement :
  • Dimanche 8 mars : exploiter la métaphore filée, les anaphores, les interrogations oratoires
  • Samedi 21 mars : rédiger un réquisitoire ou un plaidoyer (+ corrigé n°1)
  • Vendredi 27 mars : structurer un paragraphe argumentatif (+ corrigé n°2)
  • Jeudi 02 avril : introduire et conclure un écrit d’invention (+ corrigé n°3)

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Entraînement n°1… Le corrigé !

Métaphore filée, anaphores, interrogations oratoires

Comme vous le savez, la métaphore filée est une métaphore qui se prolonge. En fait, c’est une succession de métaphores  ou de comparaisons développées, parfois dans tout un paragraphe et qui s’appuient le plus souvent sur un même réseau lexical. Si elle est très employée en poésie, la métaphore filée constitue également un procédé oratoire de premier plan. Il vous était demandé dans ce premier exercice de « filer » la métaphore dans un discours vous amenant à plaider pour plus de justice sociale. Vous deviez par ailleurs utiliser obligatoirement  le champ lexical du voyage ou du déplacement. Quelques erreurs ont été commises, mais il y a eu également de bonnes surprises. Voyons tout cela ensemble…

Au niveau des difficultés, le (rare) contresens a consisté pour certain(e)s à parler du voyage. Attention : là, c’est une faute majeure dans la mesure où le thème ne portait pas sur le voyage mais sur la justice sociale (le comparé). Le voyage constituait donc le comparant. 

Voyons maintenant quelques extraits de propositions. J’ai sélectionné une élève de Première ES4, et deux élèves de Première S5 :

Propositions d’élèves

L’avis du Prof

« Plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde : il faut en effet briser les routes qui nous séparent, briser les routes de l’indifférence… »  Ici, l’idée de départ était convaincante ; en revanche, le verbe briser ne convient pas pour une « route ». De plus, le mot route a une connotation positive (la route, c’est ce qui conduit symboliquement à l’avenir) : il était donc maladroit d’associer le terme à un sens négatif. Il valait mieux par exemple utiliser le terme « barrière » qui suggère bien l’idée de fermeture et d’ethnocentrisme, par opposition à la route, symbole d’ouverture culturelle.
« Malheureusement, dans un monde où la loi du « chacun pour soi » plane sur la plupart des hommes, il est difficile pour les plus démunis de voguer tranquillement sur des rivières de bonheur. Marchons ensemble vers une nouvelle destination, vers une meilleure fin de voyage, vers un Eldorado de fraternité. » On repère bien ici la métaphore filée. Quelques termes en revanche semblent parfois un peu maladroits : l’adverbe « tranquillement » paraît un peu banal, associé à l’idée de bonheur, qui est un concept moral et spirituel fort. L’expression « rivières de bonheur » est une bonne idée mais personnellement j’aurais employé l’expression « les rivières du bonheur » plus marquante par l’emploi du déterminant défini. De même, je n’ai pas été très convaincu par l’expression « meilleure fin de voyage » qui donne une impression un peu morbide (le dernier voyage…). Bravo par contre pour « L’Eldorado de fraternité ». Voilà une façon originale de se réapproprier le chapitre 18 de Candide !
« Le monde, c’est notre voyage à tous. [… Il faut] s’envoler vers les contrées inexplorées de l’esprit’ Je trouve ce passage très judicieux. La problématique selon laquelle le monde pourrait être un voyage suggère non seulement l’idée de progrès, mais en même temps elle amène symboliquement à l’idée de positivisme, donc de dynamisme social. En outre, l’expression de « contrées inexplorées » me semble appropriée car une contrée, par définition, c’est une « étendue de pays », donc on retrouve là encore l’idée d’un territoire à conquérir !
« Plus de justice sociale nous permettra d’évoluer, d’avancer sur la route de l’égalité. Nous devons voguer vers un monde meilleur, où tous les chemins mènent au bonheur. Il n’est pas trop tard pour nous envoler vers un monde plus respectueux des valeurs sans sombrer sous les nuages du racisme et de l’égoïsme. La métaphore filée apparaît bien ici. Le champ lexical de l’envol est exploité avec pertinence : l’opposition des nuages et du ciel renvoie de façon allégorique au malheur et au bonheur. Le filon aurait pu être d’ailleurs davantage creusé !

Propositions de corrigé

Concernant les interrogations oratoires, pas de problème, vous les maîtrisez bien. En revanche, j’ai été souvent déçu par les anaphores : à part « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs »… Beaucoup d’entre vous sont en panne d’inspiration ! Par définition, l’anaphore se doit d’être originale. Répéter une formule banale ne sert strictement à rien, sinon à alourdir et à laisser une impression défavorable chez le correcteur (« Propos indigents, peu d’intérêt, manque d’originalité », etc.). Il faut au contraire choisir une formule frappante, susceptible de marquer votre lecteur ou votre auditeur. Pensez par exemple à l’univers de la chanson ; le refrain est caractéristique de l’anaphore : souvent les sonorités (allitérations ou assonances) peuvent jouer un rôle clé dans ce processus d’insistance. Dans sa chanson célèbre « SOS d’un terrien en détresse » (1978), Balavoine joue avec les allitérations en |s| qui créent ici une insistance pathétique et sollicitent l’attention de l’auditeur. L’anaphore est souvent investie par le destinataire d’une charge symbolique forte qu’il est intéressant d’exploiter. Regardez ce passage du discours de François Mitterrand, le 8 mai 1988, à l’annonce de sa victoire : outre la tonalité, empreinte de solennité et de lyrisme, les reprises anaphoriques, associées aux correspondances sonores en |o| permettent de renforcer l’impératif de la solidarité nationale : « Il y a trop d’angoisses, trop de difficultés, trop d’incertitudes pour trop des nôtres dans notre société, pour que nous oublions que le premier devoir est celui de la solidarité nationale. Chacun selon ses moyens doit concourir au bien de tous. »
 
La métaphore filée du voyage…

Le sujet vous invitait prioritairement à exploiter la métaphore filée sur le thème du voyage, du déplacement. L’éventail de mots à utiliser était très large : « chemin, route, avenue, autoroute, se déplacer, partir, là-bas, horizon, ailleurs, avenir, parcours/parcourir, itinéraire, horizon, etc. » Comment ne pas évoquer ici ces propos à juste titre si connus du Général de GAULLE à Matignon, lors de son retour au pouvoir le 13 juin 1958 ? « La route est dure mais qu’elle est belle ! Le but est difficile mais qu’il est grand ! Allons ! Le Départ est donné ! » Les mots de « route », de « but » et de « Départ » résonnent comme un « appel » (les Français de l’époque ont dû songer au célèbre « Appel » du 18 juin) vers la rénovation de la politique, et la fraternité. Comme vous le voyez, la métaphore filée joue avec les codes culturels et affectifs inscrits souvent dans l’inconscient collectif : c’est là  son intérêt dans le discours.
Mon corrigé

Pour ce corrigé, je suis resté dans le lyrisme politique et l’éloquence des exemples précédents afin de vous montrer comment une idée simple peut être exploitée sur le plan oratoire.

« Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, un chemin s’ouvre à nous si vous le souhaitez. Mais d’abord, il faut accepter de courir le risque. Car je ne vous propose pas une aventure, ordinaire, commune, banale parmi d’autres… Non : l’aventure que je vous propose est l’Aventure humaine, la grande Aventure de l’Histoire et de l’Homme. Franchissons ensemble si vous le voulez les barrières de l’indifférence, les terrains clos de l’ethnocentrisme, les champs clôturés de la haine qui n’ouvrent aucune perspective. Partons vers Demain : l’avenir nous tend les mains.
Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, le départ que je vous propose est d’abord une avancée vers plus de justice sociale, cette grande aventure que je vous demande de vivre avec moi, notre grande aventure ne pourra se faire qu’avec davantage de solidarité et de fraternité. Oui, c’est tous ensemble que nous réussirons. Ne dites pas que le départ est impossible. Auriez-vous peur d’être vous-même ? Ne croyez pas qu’une autre voie n’est pas envisageable. Abandonneriez-vous à l’indifférence et aux désillusions votre courage, vos valeurs, votre foi en l’espérance ?
Non : je sais que vous êtes capable de marcher sur la route qui se dessine devant vous. Qu’importent les pierres sur le chemin ? Nous réussirons. Qu’importent les obstacles ? Nous les franchirons. Qu’importent les montagnes puisqu’il y a des sommets à franchir et que nous les franchirons. Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, je sais que les avenues de l’Histoire s’ouvriront devant nous si nous les empruntons. Regardez : la vie est en partance, de toute part des hommes et des femmes s’engagent dans le chemin.  Alors, la question que je vous pose aujourd’hui est simple : êtes-vous prêts à tenter l’Aventure ? Voulez-vous transformer une volonté en Histoire ? »
________________
Analyse…
Comme vous le voyez, j’ai également exploité ici la technique de la gradation ternaire : une série de trois mots vont en progression afin d’amplifier l’idée selon une logique de dramatisation : « les barrières de l’indifférence, les terrains clos de l’ethnocentrisme, les champs clôturés de la haine « . On a même ici une double gradation ternaire : barrières, terrains clos, champs clôturés d’une part ; indifférence, ethnocentrisme, haine d’autre part. Une bonne idée aussi est d’interpeller le destinataire en le faisant parler à sa place. Cela fonctionne très bien avec les interrogations oratoires selon une logique antithétique : « Ne dites pas que le départ est impossible. Auriez-vous peur d’être vous-même ? Ne croyez pas qu’une autre voie n’est pas envisageable. Abandonneriez-vous à l’indifférence et aux désillusions votre courage, vos valeurs, votre foi en l’espérance ?« . Au passage, vous remarquerez que la deuxième interrogation oratoire s’achève à nouveau sur une gradation ternaire : « courage, valeurs, foi » qui permet de faire passer l’action du terrain de la vertu (le courage) à celui de la morale (les valeurs) et enfin de l’adhésion spirituelle (la foi).

_________

Exercice n°2 : rédiger un réquisitoire ou un plaidoyer

Dans cet entraînement, je vous invite à travailler sur le réquisitoire et le plaidoyer. Ces exercices étant souvent proposés à l’EAF, il est important que vous les maîtrisiez. Tout d’abord, allez voir sur site-magister.com les rappels utiles consacrés aux techniques de persuasion, et plus particulièrement au registre oratoire. Comme vous le voyez, le plaidoyer et le réquisitoire sont évalués au Baccalauréat selon des critères précis que vous devez respecter.
Sujet : dans un discours devant un public de députés européens, vous cherchez à justifier ou au contraire à dénoncer la généralisation de l’Anglais comme langue de trvail unique au Parlement européen. Quelle que soit votre prise de position, vous rédigerez obligatoirement 3 paragraphes centrés chacun sur UNE seule idée. Vous devez donc trouver en tout TROIS idées, que vous exposerez selon une logique de progression (du moins important au plus important). Bien entendu, vous devez exploiter toutes les techniques oratoires vues jusqu’ici, y compris celles proposées dans le corrigé.

Rappel concernant la structure du paragraphe argumentatif… Un paragraphe argumentatif est composé de la façon suivante :
  1. On annonce l’idée.
  2. On la développe, on l’approfondit.
  3. On l’illustre avec un ou deux exemples.

Même si un discours n’obéira pas tout à fait à la même rigueur de construction qu’une dissertation (du fait même de sa charge émotionnelle et affective), il doit cependant respecter cette structure selon une logique clairement identifiable.
AVANT de commencer, regardez bien le tableau ci-dessous qui fait le point sur le plaidoyer et le réquisitoire.

PLAIDOYER

RÉQUISITOIRE

Qui parle ? Il s’agit d’un discours. Donc la fonction expressive du langage sera privilégiée (emploi du je + implication forte de l’énonciateur)
A qui ?

Utilisation de la fonction impressive (ou conative) : la fonction conative met l’accent sur le destinataire, en cherchant à agir sur lui : le but est de mettre en cause le récepteur (une personne, le public, vos lecteurs) en le contraignant à faire quelque chose qui va dans votre sens.

De qui,
de quoi ?
D’une personne ou d’une cause qu’on cherchera à défendre. D’une personne ou d’une cause qu’on cherchera à discréditer (le héros que l’on croyait n’est en fait qu’un coupable ; la thèse que certains défendent est fausse et illusoire).
Lexique Laudatif (louer quelqu’un, faire son éloge) et mélioratif (termes à connotation positive)

Péjoratif et dépréciatif

Registre

Lyrique, pathétique et injonctif

Polémique et injonctif

Procédés oratoires

Antithèses, Interrogations oratoires, anaphores, injonctions, exclamations exprimant l’émotion, la colère, l’indignation ; phrases rythmées sur le principe de la gradation ternaire, etc.

Parcours argumentatif visible et ciblé (cohérence des arguments, forte visée démonstrative, nécessité d’aller du moins important au plus important.

Bonne chance à vous. N’oubliez pas de me remettre vos propositions avant vendredi 27 mars, 21:00 pour bénéficier du bonus !

Guide méthodologique d’aide à l’expression écrite. Corrigé et entraînement n°2…

Classes de Première…

Voici le corrigé du premier exercice et le deuxième exercice (à rendre jeudi 26 mars). Désolé pour ce léger retard mais j’ai tenu compte d’une part des mouvements sociaux empêchant certains élèves de me rendre à temps leur travail lors du cours de Français le jeudi 19 mars. Par ailleurs l’organisation du Salon du Livre de Montargis où toutes les classes exposent, ainsi que la préparation de la Journée Portes Ouvertes m’ont demandé un très lourd investissement.
Rappel du calendrier d’entraînement :
  • Dimanche 8 mars : exploiter la métaphore filée, les anaphores, les interrogations oratoires
  • Samedi 21 mars : rédiger un réquisitoire ou un plaidoyer (+ corrigé n°1)
  • Vendredi 27 mars : structurer un paragraphe argumentatif (+ corrigé n°2)
  • Jeudi 02 avril : introduire et conclure un écrit d’invention (+ corrigé n°3)

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Entraînement n°1… Le corrigé !

Métaphore filée, anaphores, interrogations oratoires

Comme vous le savez, la métaphore filée est une métaphore qui se prolonge. En fait, c’est une succession de métaphores  ou de comparaisons développées, parfois dans tout un paragraphe et qui s’appuient le plus souvent sur un même réseau lexical. Si elle est très employée en poésie, la métaphore filée constitue également un procédé oratoire de premier plan. Il vous était demandé dans ce premier exercice de « filer » la métaphore dans un discours vous amenant à plaider pour plus de justice sociale. Vous deviez par ailleurs utiliser obligatoirement  le champ lexical du voyage ou du déplacement. Quelques erreurs ont été commises, mais il y a eu également de bonnes surprises. Voyons tout cela ensemble…

Au niveau des difficultés, le (rare) contresens a consisté pour certain(e)s à parler du voyage. Attention : là, c’est une faute majeure dans la mesure où le thème ne portait pas sur le voyage mais sur la justice sociale (le comparé). Le voyage constituait donc le comparant. 

Voyons maintenant quelques extraits de propositions. J’ai sélectionné une élève de Première ES4, et deux élèves de Première S5 :

Propositions d’élèves

L’avis du Prof

« Plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde : il faut en effet briser les routes qui nous séparent, briser les routes de l’indifférence… »  Ici, l’idée de départ était convaincante ; en revanche, le verbe briser ne convient pas pour une « route ». De plus, le mot route a une connotation positive (la route, c’est ce qui conduit symboliquement à l’avenir) : il était donc maladroit d’associer le terme à un sens négatif. Il valait mieux par exemple utiliser le terme « barrière » qui suggère bien l’idée de fermeture et d’ethnocentrisme, par opposition à la route, symbole d’ouverture culturelle.
« Malheureusement, dans un monde où la loi du « chacun pour soi » plane sur la plupart des hommes, il est difficile pour les plus démunis de voguer tranquillement sur des rivières de bonheur. Marchons ensemble vers une nouvelle destination, vers une meilleure fin de voyage, vers un Eldorado de fraternité. » On repère bien ici la métaphore filée. Quelques termes en revanche semblent parfois un peu maladroits : l’adverbe « tranquillement » paraît un peu banal, associé à l’idée de bonheur, qui est un concept moral et spirituel fort. L’expression « rivières de bonheur » est une bonne idée mais personnellement j’aurais employé l’expression « les rivières du bonheur » plus marquante par l’emploi du déterminant défini. De même, je n’ai pas été très convaincu par l’expression « meilleure fin de voyage » qui donne une impression un peu morbide (le dernier voyage…). Bravo par contre pour « L’Eldorado de fraternité ». Voilà une façon originale de se réapproprier le chapitre 18 de Candide !
« Le monde, c’est notre voyage à tous. [… Il faut] s’envoler vers les contrées inexplorées de l’esprit’ Je trouve ce passage très judicieux. La problématique selon laquelle le monde pourrait être un voyage suggère non seulement l’idée de progrès, mais en même temps elle amène symboliquement à l’idée de positivisme, donc de dynamisme social. En outre, l’expression de « contrées inexplorées » me semble appropriée car une contrée, par définition, c’est une « étendue de pays », donc on retrouve là encore l’idée d’un territoire à conquérir !
« Plus de justice sociale nous permettra d’évoluer, d’avancer sur la route de l’égalité. Nous devons voguer vers un monde meilleur, où tous les chemins mènent au bonheur. Il n’est pas trop tard pour nous envoler vers un monde plus respectueux des valeurs sans sombrer sous les nuages du racisme et de l’égoïsme. La métaphore filée apparaît bien ici. Le champ lexical de l’envol est exploité avec pertinence : l’opposition des nuages et du ciel renvoie de façon allégorique au malheur et au bonheur. Le filon aurait pu être d’ailleurs davantage creusé !

Propositions de corrigé

Concernant les interrogations oratoires, pas de problème, vous les maîtrisez bien. En revanche, j’ai été souvent déçu par les anaphores : à part « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs »… Beaucoup d’entre vous sont en panne d’inspiration ! Par définition, l’anaphore se doit d’être originale. Répéter une formule banale ne sert strictement à rien, sinon à alourdir et à laisser une impression défavorable chez le correcteur (« Propos indigents, peu d’intérêt, manque d’originalité », etc.). Il faut au contraire choisir une formule frappante, susceptible de marquer votre lecteur ou votre auditeur. Pensez par exemple à l’univers de la chanson ; le refrain est caractéristique de l’anaphore : souvent les sonorités (allitérations ou assonances) peuvent jouer un rôle clé dans ce processus d’insistance. Dans sa chanson célèbre « SOS d’un terrien en détresse » (1978), Balavoine joue avec les allitérations en |s| qui créent ici une insistance pathétique et sollicitent l’attention de l’auditeur. L’anaphore est souvent investie par le destinataire d’une charge symbolique forte qu’il est intéressant d’exploiter. Regardez ce passage du discours de François Mitterrand, le 8 mai 1988, à l’annonce de sa victoire : outre la tonalité, empreinte de solennité et de lyrisme, les reprises anaphoriques, associées aux correspondances sonores en |o| permettent de renforcer l’impératif de la solidarité nationale : « Il y a trop d’angoisses, trop de difficultés, trop d’incertitudes pour trop des nôtres dans notre société, pour que nous oublions que le premier devoir est celui de la solidarité nationale. Chacun selon ses moyens doit concourir au bien de tous. »
 
La métaphore filée du voyage…

Le sujet vous invitait prioritairement à exploiter la métaphore filée sur le thème du voyage, du déplacement. L’éventail de mots à utiliser était très large : « chemin, route, avenue, autoroute, se déplacer, partir, là-bas, horizon, ailleurs, avenir, parcours/parcourir, itinéraire, horizon, etc. » Comment ne pas évoquer ici ces propos à juste titre si connus du Général de GAULLE à Matignon, lors de son retour au pouvoir le 13 juin 1958 ? « La route est dure mais qu’elle est belle ! Le but est difficile mais qu’il est grand ! Allons ! Le Départ est donné ! » Les mots de « route », de « but » et de « Départ » résonnent comme un « appel » (les Français de l’époque ont dû songer au célèbre « Appel » du 18 juin) vers la rénovation de la politique, et la fraternité. Comme vous le voyez, la métaphore filée joue avec les codes culturels et affectifs inscrits souvent dans l’inconscient collectif : c’est là  son intérêt dans le discours.

Mon corrigé

Pour ce corrigé, je suis resté dans le lyrisme politique et l’éloquence des exemples précédents afin de vous montrer comment une idée simple peut être exploitée sur le plan oratoire.

« Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, un chemin s’ouvre à nous si vous le souhaitez. Mais d’abord, il faut accepter de courir le risque. Car je ne vous propose pas une aventure, ordinaire, commune, banale parmi d’autres… Non : l’aventure que je vous propose est l’Aventure humaine, la grande Aventure de l’Histoire et de l’Homme. Franchissons ensemble si vous le voulez les barrières de l’indifférence, les terrains clos de l’ethnocentrisme, les champs clôturés de la haine qui n’ouvrent aucune perspective. Partons vers Demain : l’avenir nous tend les mains.

Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, le départ que je vous propose est d’abord une avancée vers plus de justice sociale, cette grande aventure que je vous demande de vivre avec moi, notre grande aventure ne pourra se faire qu’avec davantage de solidarité et de fraternité. Oui, c’est tous ensemble que nous réussirons. Ne dites pas que le départ est impossible. Auriez-vous peur d’être vous-même ? Ne croyez pas qu’une autre voie n’est pas envisageable. Abandonneriez-vous à l’indifférence et aux désillusions votre courage, vos valeurs, votre foi en l’espérance ?

Non : je sais que vous êtes capable de marcher sur la route qui se dessine devant vous. Qu’importent les pierres sur le chemin ? Nous réussirons. Qu’importent les obstacles ? Nous les franchirons. Qu’importent les montagnes puisqu’il y a des sommets à franchir et que nous les franchirons. Mesdames et Messieurs, frères d’armes et de larmes, je sais que les avenues de l’Histoire s’ouvriront devant nous si nous les empruntons. Regardez : la vie est en partance, de toute part des hommes et des femmes s’engagent dans le chemin.  Alors, la question que je vous pose aujourd’hui est simple : êtes-vous prêts à tenter l’Aventure ? Voulez-vous transformer une volonté en Histoire ? »

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Analyse…

Comme vous le voyez, j’ai également exploité ici la technique de la gradation ternaire : une série de trois mots vont en progression afin d’amplifier l’idée selon une logique de dramatisation : « les barrières de l’indifférence, les terrains clos de l’ethnocentrisme, les champs clôturés de la haine « . On a même ici une double gradation ternaire : barrières, terrains clos, champs clôturés d’une part ; indifférence, ethnocentrisme, haine d’autre part. Une bonne idée aussi est d’interpeller le destinataire en le faisant parler à sa place. Cela fonctionne très bien avec les interrogations oratoires selon une logique antithétique : « Ne dites pas que le départ est impossible. Auriez-vous peur d’être vous-même ? Ne croyez pas qu’une autre voie n’est pas envisageable. Abandonneriez-vous à l’indifférence et aux désillusions votre courage, vos valeurs, votre foi en l’espérance ?« . Au passage, vous remarquerez que la deuxième interrogation oratoire s’achève à nouveau sur une gradation ternaire : « courage, valeurs, foi » qui permet de faire passer l’action du terrain de la vertu (le courage) à celui de la morale (les valeurs) et enfin de l’adhésion spirituelle (la foi).

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Exercice n°2 : rédiger un réquisitoire ou un plaidoyer

Dans cet entraînement, je vous invite à travailler sur le réquisitoire et le plaidoyer. Ces exercices étant souvent proposés à l’EAF, il est important que vous les maîtrisiez. Tout d’abord, allez voir sur site-magister.com les rappels utiles consacrés aux techniques de persuasion, et plus particulièrement au registre oratoire. Comme vous le voyez, le plaidoyer et le réquisitoire sont évalués au Baccalauréat selon des critères précis que vous devez respecter.

Sujet : dans un discours devant un public de députés européens, vous cherchez à justifier ou au contraire à dénoncer la généralisation de l’Anglais comme langue de trvail unique au Parlement européen. Quelle que soit votre prise de position, vous rédigerez obligatoirement 3 paragraphes centrés chacun sur UNE seule idée. Vous devez donc trouver en tout TROIS idées, que vous exposerez selon une logique de progression (du moins important au plus important). Bien entendu, vous devez exploiter toutes les techniques oratoires vues jusqu’ici, y compris celles proposées dans le corrigé.

Rappel concernant la structure du paragraphe argumentatif… Un paragraphe argumentatif est composé de la façon suivante :
  1. On annonce l’idée.
  2. On la développe, on l’approfondit.
  3. On l’illustre avec un ou deux exemples.

Même si un discours n’obéira pas tout à fait à la même rigueur de construction qu’une dissertation (du fait même de sa charge émotionnelle et affective), il doit cependant respecter cette structure selon une logique clairement identifiable.

AVANT de commencer, regardez bien le tableau ci-dessous qui fait le point sur le plaidoyer et le réquisitoire.

PLAIDOYER

RÉQUISITOIRE

Qui parle ? Il s’agit d’un discours. Donc la fonction expressive du langage sera privilégiée (emploi du je + implication forte de l’énonciateur)
A qui ?

Utilisation de la fonction impressive (ou conative) : la fonction conative met l’accent sur le destinataire, en cherchant à agir sur lui : le but est de mettre en cause le récepteur (une personne, le public, vos lecteurs) en le contraignant à faire quelque chose qui va dans votre sens.

De qui,
de quoi ?
D’une personne ou d’une cause qu’on cherchera à défendre. D’une personne ou d’une cause qu’on cherchera à discréditer (le héros que l’on croyait n’est en fait qu’un coupable ; la thèse que certains défendent est fausse et illusoire).
Lexique Laudatif (louer quelqu’un, faire son éloge) et mélioratif (termes à connotation positive)

Péjoratif et dépréciatif

Registre

Lyrique, pathétique et injonctif

Polémique et injonctif

Procédés oratoires

Antithèses, Interrogations oratoires, anaphores, injonctions, exclamations exprimant l’émotion, la colère, l’indignation ; phrases rythmées sur le principe de la gradation ternaire, etc.

Parcours argumentatif visible et ciblé (cohérence des arguments, forte visée démonstrative, nécessité d’aller du moins important au plus important.

Bonne chance à vous. N’oubliez pas de me remettre vos propositions avant vendredi 27 mars, 21:00 pour bénéficier du bonus !

Entraînement BTS n°3… "Faire voir esthétiquement la laideur"

bts2009.1232872062.jpgLes entraînements BTS

Entraînement n°3. Thème 1 (« Faire voir ») : esthétique de la laideur…

Je vous propose dans cet entraînement un sujet inédit tout à fait dans l’optique de l’examen, mais qui va vous changer des sujets habituellement posés. Ce corpus en effet vous amènera à réfléchir à la manière de faire voir et de se représenter le beau ou la laideur. Comme le dit Voltaire, le beau est « relatif ». Cette problématique conduit ainsi à travailler sur un terme qui n’est pas simple à définir : le beau est-il toujours « esthétique » ? La laideur est-elle forcément « moche » à voir ? Le corpus ainsi que l’écriture personnelle sont difficiles : de fait, c’est la fonction de l’art qui se trouve posée ici : ne serait-il pas parfois un détournement de la beauté ? De Baudelaire à l’expo Trash en passant par le peintre Bacon, il y a une sorte de jeu de la transgression et de la provocation : faire voir la laideur, n’est-ce pas donner une valeur esthétique à ce qui est considéré comme repoussant, vulgaire, indécent ou obscène ?

Niveau de difficulté : *** (* accessible ; ** moyennement difficile ; *** difficile)

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  • Document 1 Voltaire, article « Beau » du Dictionnaire philosophique (1764).

« Puisque nous avons cité Platon sur l’amour, pourquoi ne le citerions-nous pas sur le beau, puisque le beau se fait aimer? On sera peut-être curieux de savoir comment un Grec parlait du beau il y a plus de deux mille ans.

« L’homme expié dans les mystères sacrés, quand il voit un beau visage décoré d’une forme divine, ou bien quelque espèce incorporelle, sent d’abord un frémissement secret, et je ne sais quelle crainte respectueuse; il regarde cette figure comme une divinité…. quand l’influence de la beauté entre dans son âme par les yeux, il s’échauffe: les ailes de son âme sont arrosées; elles perdent leur dureté qui retenait leur germe; elles se liquéfient; ces germes enflés dans les racines de ses ailes s’efforcent de sortir par toute l’espèce de l’âme » (car l’âme avait des ailes autrefois), etc.

Je veux croire que rien n’est plus beau que ce discours de Platon; mais il ne nous donne pas des idées bien nettes de la nature du beau.

Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté, le grand beau, le to kalon (*). Il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté.

Interrogez le diable; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes, et une queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias; il leur faut quelque chose de conforme à l’archétype du beau en essence, au to kalon.

J’assistais un jour à une tragédie auprès d’un philosophe. « Que cela est beau! disait-il. — Que trouvez-vous là de beau? lui dis-je. — C’est, dit-il, que l’auteur a atteint son but. » Le lendemain il prit une médecine qui lui fit du bien. « Elle a atteint son but, lui dis-je; voilà une belle médecine! » Il comprit qu’on ne peut pas dire qu’une médecine est belle, et que pour donner à quelque chose le nom de beauté, il faut qu’elle vous cause de l’admiration et du plaisir. Il convint que cette tragédie lui avait inspiré ces deux sentiments, et que c’était là le to kalon, le beau.

Nous fîmes un voyage en Angleterre: on y joua la même pièce, parfaitement traduite; elle fit bâiller tous les spectateurs. « Oh, oh! dit-il, le to kalon n’est pas le même pour les Anglais et pour les Français. Il conclut, après bien des réflexions, que le beau est souvent très relatif, comme ce qui est décent au Japon est indécent à Rome, et ce qui est de mode à Paris ne l’est pas à Pékin; et il s’épargna la peine de composer un long traité sur le beau. »

(*) To kalon : le beau (en grec)
  • Document 2 Baudelaire, « Une charogne » Les Fleurs du mal (1857)

  • Document 3 Renaud Revel, « L’exposition Trash… Des poubelles et des hommes » (L’Express du 13 mars 2007)

  • Document 4 Francis Bacon, « Autoportrait », 1976 (Huile et pastel sur toile, Musée Cantini de Marseille) © ADAGP. Photographe : cliché Jean Bernard bacon.1289732084.jpg

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Proposition d’écriture personnelle : selon vous, la représentation de la laideur peut-elle avoir un intérêt artistique ?

Entraînement BTS n°3… « Faire voir esthétiquement la laideur »

Les entraînements BTS

Entraînement n°3. Thème 1 (« Faire voir ») : esthétique de la laideur…

Je vous propose dans cet entraînement un sujet inédit tout à fait dans l’optique de l’examen, mais qui va vous changer des sujets habituellement posés. Ce corpus en effet vous amènera à réfléchir à la manière de faire voir et de se représenter le beau ou la laideur. Comme le dit Voltaire, le beau est « relatif ». Cette problématique conduit ainsi à travailler sur un terme qui n’est pas simple à définir : le beau est-il toujours « esthétique » ? La laideur est-elle forcément « moche » à voir ? Le corpus ainsi que l’écriture personnelle sont difficiles : de fait, c’est la fonction de l’art qui se trouve posée ici : ne serait-il pas parfois un détournement de la beauté ? De Baudelaire à l’expo Trash en passant par le peintre Bacon, il y a une sorte de jeu de la transgression et de la provocation : faire voir la laideur, n’est-ce pas donner une valeur esthétique à ce qui est considéré comme repoussant, vulgaire, indécent ou obscène ?

Niveau de difficulté : *** (* accessible ; ** moyennement difficile ; *** difficile)

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  • Document 1 Voltaire, article « Beau » du Dictionnaire philosophique (1764).

« Puisque nous avons cité Platon sur l’amour, pourquoi ne le citerions-nous pas sur le beau, puisque le beau se fait aimer? On sera peut-être curieux de savoir comment un Grec parlait du beau il y a plus de deux mille ans.

« L’homme expié dans les mystères sacrés, quand il voit un beau visage décoré d’une forme divine, ou bien quelque espèce incorporelle, sent d’abord un frémissement secret, et je ne sais quelle crainte respectueuse; il regarde cette figure comme une divinité…. quand l’influence de la beauté entre dans son âme par les yeux, il s’échauffe: les ailes de son âme sont arrosées; elles perdent leur dureté qui retenait leur germe; elles se liquéfient; ces germes enflés dans les racines de ses ailes s’efforcent de sortir par toute l’espèce de l’âme » (car l’âme avait des ailes autrefois), etc.

Je veux croire que rien n’est plus beau que ce discours de Platon; mais il ne nous donne pas des idées bien nettes de la nature du beau.

Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté, le grand beau, le to kalon (*). Il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté.

Interrogez le diable; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes, et une queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias; il leur faut quelque chose de conforme à l’archétype du beau en essence, au to kalon.

J’assistais un jour à une tragédie auprès d’un philosophe. « Que cela est beau! disait-il. — Que trouvez-vous là de beau? lui dis-je. — C’est, dit-il, que l’auteur a atteint son but. » Le lendemain il prit une médecine qui lui fit du bien. « Elle a atteint son but, lui dis-je; voilà une belle médecine! » Il comprit qu’on ne peut pas dire qu’une médecine est belle, et que pour donner à quelque chose le nom de beauté, il faut qu’elle vous cause de l’admiration et du plaisir. Il convint que cette tragédie lui avait inspiré ces deux sentiments, et que c’était là le to kalon, le beau.

Nous fîmes un voyage en Angleterre: on y joua la même pièce, parfaitement traduite; elle fit bâiller tous les spectateurs. « Oh, oh! dit-il, le to kalon n’est pas le même pour les Anglais et pour les Français. Il conclut, après bien des réflexions, que le beau est souvent très relatif, comme ce qui est décent au Japon est indécent à Rome, et ce qui est de mode à Paris ne l’est pas à Pékin; et il s’épargna la peine de composer un long traité sur le beau. »

(*) To kalon : le beau (en grec)

  • Document 2 Baudelaire, « Une charogne » Les Fleurs du mal (1857)

  • Document 3 Renaud Revel, « L’exposition Trash… Des poubelles et des hommes » (L’Express du 13 mars 2007)

  • Document 4 Francis Bacon, « Autoportrait », 1976 (Huile et pastel sur toile, Musée Cantini de Marseille) © ADAGP. Photographe : cliché Jean Bernard

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Proposition d’écriture personnelle : selon vous, la représentation de la laideur peut-elle avoir un intérêt artistique ?

La citation de la semaine… Olympe de Gouges…

« Femme, réveille-toi ! »

Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : « Femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » —Tout, auriez vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.

Olympe de Gouges (1748-1793)
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
« Postambule » (1791)

Illustration : © 2021, B. R.
Photomontage d’après Alexandre Kucharski (attribué à), portrait d’Olympe de Gouges. Pastel sur parchemin, vers 1788 (coll. privée) ; J. Howard Miller, « We Can Do It! », 1942.

Rédigée le 14 août 1791, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est non seulement un plaidoyer fondateur de la cause féministe, mais plus largement un testament emblématique de notre démocratie. Dédiée à Marie-Antoinette pour affirmer que la question des femmes dépasse les clivages sociaux et politiques, la Déclaration de Gouges féminise entièrement la Déclaration des Droits de l’Homme du 27 août 1789. Comme le note Nicole Pellegrin, « c’est là un moyen proprement renversant de prendre au mot les révolutionnaires et de les placer face à leurs contradictions en matière d’égalité »¹. De fait, les femmes sont les grandes perdantes de la Révolution. Avec une ironie féroce, Olympe de Gouges n’hésite pas à stigmatiser ce dénigrement du féminin : « Les femmes ont le droit de monter à l’échafaud. Elles doivent également avoir celui de monter à la tribune ».

Négligée et incomprise de ses contemporains, Olympe de Gouges combattit l’esclavage, le sexisme, les violences faites aux femmes et s’engagea pour la reconnaissance juridique et l’émancipation politique des femmes à travers une œuvre littéraire très riche, et proprement réformatrice. C’est ainsi que la quatrième partie de la Déclaration « propose un « contrat social » qui redéfinit le mariage à la manière de notre PACS actuel »². Sans doute parce qu’elle s’attaquait à tant de préjugés et d’injustices, elle fut jetée en prison par la Terreur révolutionnaire, jugée sommairement et condamnée à l’échafaud. Je vous laisse méditer ces propos tenus par un rédacteur du Moniteur universel : « Elle voulut être homme d’État et il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe »³.

Portrait présumé d’Olympe de Gouges, par Madame Aubry.
Aquarelle conservée au musée Carnavalet (Paris).

Ainsi que le remarque Yannick Ripa dans un ouvrage remarquable, « Olympe de Gouges est guillotinée pour avoir enfreint, par un manifeste en faveur des Girondins, la loi du 29 mars 1793 interdisant les écrits contre-révolutionnaires ; son élimination est aussi une condamnation sans appel des femmes révolutionnaires ; le procureur Chaumette la condamne en tant que « femme-homme », « virago » qui « abandonne les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes »⁴.

Par sa force oratoire et la portée de ses idées, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est un texte visionnaire qui se doit de figurer aujourd’hui au Panthéon des Lettres françaises.

Bruno Rigolt

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NOTES
(1) Nicole Pellegrin, Écrits féministes de Christine de Piran à Simone de Beauvoir. Coll. « Champs classiques », Flammarion, Paris 2010, page 76.
(2) ibid. page 77.
(3) Le Moniteur Universel, 29 brumaire an II (19 novembre 1793), t. XVIII, numéro 59. J’aurais pu aussi citer ces propos (sur Olympe de Gouges, Marie Antoinette et Marie-Jeanne Roland) qui vont dans le même sens : « En peu de temps, le tribunal révolutionnaire vient de donner aux femmes un grand exemple qui ne sera pas perdu pour elles : car la justice toujours impartiale, place sans cesse la leçon à côté de la sévérité ».
(4) Yannick Ripa, Les Femmes, actrices de l’histoire. France, de 1789 à nos jours. Armand Colin, collection U « Histoire », Paris 2002, page 23. Voici les propos exacts du Procureur Chaumette rapportés par Elisabeth Badinter : « Rappelez-vous cette femme hautaine d’un époux perfide, la Roland, qui se crut propre à gouverner la République, et qui concourut à sa perte. Rappelez-vous, hier cette virago, cette homme-femme, l’impudente Olympe de Gouges, qui la première, institua des assemblées de femmes, voulut politiquer et commit des crimes. Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois ». Elisabeth Badinter, Condorcet, Prudhomme, Guyomar : Paroles d’hommes (1790-1793), P.O.L. Paris 1989, pages 181-182.

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Les élèves ont du talent… Le concours de nouvelles 2009 par la classe de Seconde 12…

Retrouvez chaque semaine un nouveau texte !
La classe de Seconde 12 s’est particulièrement investie dans le concours de nouvelles proposé par le Salon du livre du Montargois. Le sujet était libre mais l’écriture comportait deux contraintes : commencer obligatoirement par l’UNE de ces deux phrases : “Il était près de midi, et elle n’avait toujours pas donné signe de vie.” OU “Il avait la passion des vieilles pierres.”… et se terminer obligatoirement par l’UNE de ces deux phrases : “Il y eut affluence comme aux fêtes de fin d’année.” OU “Mais un père est un père et je suis sincèrement désolé.”
prix.1236783460.jpgChallenge réussi pour la Seconde 12 ! Découvrez chaque semaine un texte particulièrement marquant. Aujourd’hui, laissez-vous emporter par la nouvelle de Flora, élève et déléguée de la Seconde 12… Une très belle histoire empreinte d’émotion et de lyrisme, entre autobiographie et fiction (qui valut à son auteure le cinquième prix au salon du livre du Montargois).
L’action se situe à Madagascar…
 

    Ce jour-là, à Tana…

par Flora P…

Il était prés de midi et elle n’avait toujours pas donné de signe de vie. Je m’étais installée près d’une petite colline au sud de la ville, à l’attendre, en vain. Je m’inquiétais car il n’y a qu’un bus qui passe dans la journée. Il ne vient que le mercredi et le jeudi matin, jours de marché. La majorité des gens viennent d’Ihosy et du Grand Sud, et le prochain ne passerait que demain matin. D’ici là…

flora1.1289846345.jpg« Manahoana… »

En l’attendant sous le baobab, j’entendais le vent souffler entre les feuilles ; le soleil s’en allait vers l’ouest… Je m’imaginais notre rencontre, les paroles, les simples « Bonjour, comment vas-tu » que nous allions échanger en Malgache :
– Manahoana, Manahoana y sahasalaurauao ?
– Salaura tsara aho miasoaka…

Venir à Madagascar était mon plus grand rêve. Séraphine ne m’avait jamais vue, seulement en photo. On dialoguait par lettre depuis maintenant un an et demi, depuis que mon grand-père l’avait retrouvée après avoirs passé une annonce dans le journal local. Mes grands-parents et ma mère avaient vécu huit ans à Madagascar et Séraphine avait été la nourrice de ma mère.

J’étais si contente de la rencontrer. J’avais si peur de ne pas la voir. Adossée au tronc de l’arbre géant, je regardais la route blanchie sous le soleil, quelques enfants qui couraient là-bas, à demi nus, une femme qui traversait la route avec ses calebasses d’eau. Le temps s’écoulait, impalpable. Comme je m’assoupissais à cause de la chaleur, je vis au loin le bus qui arrivait, très poussiéreux, couvert de sable et de voyage car il roulait sur des routes de terre et de vent depuis tant d’années…

« j’aimais la lumière blanche de la route, j’aimais le vent et le manioc salé »

Beaucoup de Malgaches en descendirent. Toutes les femmes étaient habillées avec des jupes de couleurs vives et elles portaient des lambas blancs ou écrus sur les épaules. Les hommes avaient des pantalons noirs, des chemises ouvertes et un chapeau de paille. Je regardais les gens descendre un par un, j’étais tellement impatiente de la voir! Les gens venaient dans la ville de Tana car c’était le plus grands marché de la semaine ; les vendeurs s’installaient par terre et disposaient leurs étalages de légumes ou de poissons séchés sur des nattes.flora2.1236711503.jpg

Certains avaient amené leur machine à coudre et confectionnaient des rideaux, des jupes à la demande. Les habitants se préparaient pour le marché. Je commençais à sentir les parfums d’épices et l’odeur nauséabonde du poisson datant de quelques jours me faisait tourner la tête. Mais j’aimais tout cela, j’aimais la lumière blanche de la route, j’aimais le vent et le manioc salé, j’aimais les bruits du marché où l’on mange des fleurs de cactus, j’aimais le bruit des zébus et les vendeurs de lait caillé ou de bijoux d’argent…

Le marché commençait à se remplir de couleurs, de fruits, de tissus lorsqu’elle descendit du bus. Il y avait beaucoup de monde, je me mis debout  pour ne pas la perdre de vue mais aussitôt la foule l’encercla. Mon cœur se serrait mais je gardais espoir pendant trois secondes en la cherchant des yeux partout. Ne la revoyant plus, les larmes me montèrent aux yeux. Vous qui me lisez, comment vous dire l’écho du temps qui résonne dans ces lignes ? Comment vous dire le bruit du vent dans les arbres ? Cette attente devant les cases au toit de paille ?

« Le voyage de la vie commençait… »

Peut être n’était-ce qu’une illusion… Tout à coup, je sentis une main venue du bout du monde, venue du grand sud malgache se poser sur mon épaule, je tournais la tête et je la vis. Elle me prit dans ses bras et nous nous sommes mises à tourner, à rire, à pleurer, un peu comme dans une aventure vers le bleu du ciel : le voyage de la vie commençait. Petit à petit, les gens nous encerclèrent. Toute la poussière de la route s’était envolée, le ciel craquait sous le soleil : même des nuages mauves et roses vinrent à notre rencontre pour voir ce qui se passait.

Je me rappellerai toujours du vent, si proche de nos visages, de nos mains serrées l’une contre l’autre, je me rappellerai des charrettes remplies de marchandises, de ces visages d’hommes qui vendent des éclats de saphir et de béryl en espérant devenir riche… Tous ces gens qui nous regardaient en souriant, ce jour-là, à Tana… Il y eut affluence comme aux fêtes de fin d’année.

© Flora P… Mars 2009 (Lycée en Forêt, Montargis, France)

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Guide méthodologique d’aide à l’expression écrite. Entraînement n°1 : Métaphore filée, anaphores, interrogations oratoires

eaf.1236521947.jpgÉpreuve Anticipée de Français (EAF) : bientôt le deuxième baccalauréat blanc ! Les résultats souvent mitigés voire inquiétants pour certaines ou certains doivent les interpeller. Ce n’est pas tant au niveau de la question ou de la compréhension du corpus que les problèmes sont le plus préoccupants mais plutôt d’un point de vue analytique et rédactionnel. L’écrit d’invention en particulier a été décevant lors du premier examen blanc, pour des raisons qui tiennent à une mauvaise prise en compte des consignes posées et de l’utilisation du temps. De fait, beaucoup d’entre vous éprouvent des difficultés à comprendre ce qui est attendu d’eux, plus particulièrement d’un point de vue stylistique et rédactionnel. C’est la raison pour laquelle chaque semaine avant le prochain examen blanc, je reviendrai sur la méthodologie de l’écrit d’invention.
        
Calendrier d’entraînement :
  • Dimanche 8 mars : exploiter la métaphore filée, les anaphores, les interrogations oratoires
  • Jeudi 19 mars : rédiger un réquisitoire ou un plaidoyer (+ corrigé n°1)
  • Jeudi 26 mars : structurer un paragraphe argumentatif (+ corrigé n°2)
  • Jeudi 02 avril : introduire et conclure un écrit d’invention (+ corrigé n°3)

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Entraînement n°1

Métaphore filée, anaphores, interrogations oratoires

De nombreux sujets vous amènent à devoir rédiger une lettre, un discours, un article de presse, etc. Malgré les apparences, ces sujets obéissent tous à la même règle. Si vous êtes malin, préparez-vous deux ou trois modèles-type qui vous aideront à aller plus vite dans la recherche des idées, et de consacrer davantage de temps à la rédaction. Il vous suffira de modifier certains aspects en fonction du sujet à traiter (en travaillant surtout les expansions nominales).

1. La métaphore filée

Prenons un sujet type : il vous est demandé par exemple de rédiger un discours vous amenant à plaider pour plus de justice sociale. Si vous êtes astucieux, vous allez exploiter la technique de la métaphore filée. Comme vous le savez, on entend par là une métaphore qui se prolonge, qui est développée à travers un même réseau lexical. Si vous avez du mal à trouver ou à formuler vos idées, la métaphore filée constitue une aide précieuse. Imaginons un candidat qui n’a que peu d’arguments, par exemple « plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde ». Malgré sa justesse, l’idée en elle-même est assez pauvre et banale du fait de son manque d’originalité. Néanmoins, vous allez voir comment une métaphore filée peut la transformer. Pensez par exemple au champ lexical de la construction : « rebâtir, construire, fondations, pierre, maison, édifice, murs… » etc.

Reprenons maintenant notre idée de départ en l’étayant grâce à une métaphore filée :

« Plus de justice sociale permettra d’améliorer les conditions de vie et le monde : il faut en effet que tous les murs qui séparent les hommes tombent : mur de l’indifférence, mur du racisme, mur de l’égoïsme. Le monde n’est pas seulement un ensemble de continents, c’est notre maison commune. En ce début de vingt-et-unième siècle, il est peut-être temps de rebâtir le monde pour plus de justice sociale, de construire une nouvelle société, plus humaine, plus fraternelle. I1 nous appartient de poser les fondations d’un monde plus respectueux des valeurs communes. Un nouvel humanisme est nécessaire ! Alors que le vieil édifice s’écroule, des voix rappellent qu’il faut poser la première pierre de la fraternité ! »

2. Même exemple que précédemment mais avec des anaphores et des interrogations oratoires :

« Mesdames, Messieurs, Chers frères humains, voilà ce que je vous propose : il faut que tous les murs qui séparent les hommes tombent : mur de l’indifférence, mur de la misère, mur de l’égoïsme. Peut-on accepter de vivre ainsi ? Avons-nous été créés pour nous déchirer ? Pour nous haïr ? Plus de justice sociale ne permettrait-elle pas d’améliorer les conditions de vie et le monde ?

Mesdames, Messieurs, Chers frères humains, notre monde en effet n’est pas seulement un ensemble de continents, c’est notre maison commune. Devons-nous accepter de laisser mourir cette maison et d’en voir s’écrouler les fondations? Devons-nous nous résoudre à partir en laissant les clés sur la porte ? Notre terre doit-elle être condamnée à devenir une maison abandonnée ? En ce début de vingt-et-unième siècle, il est peut-être temps de rebâtir le monde, de construire une nouvelle société, plus humaine, plus fraternelle.

Mesdames, Messieurs, Chers frères humains, il nous appartient de poser les fondations d’un monde plus respectueux des valeurs communes. Un nouvel humanisme est nécessaire ! Alors que le vieil édifice s’écroule, des voix rappellent qu’il faut poser la première pierre de la fraternité ! »

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3. Gagner des points pour la moyenne… C’est trop facile ! Faites chaque semaine l’exercice d’entraînement proposé ! Durée :1 heure (à 1h15) environ.

  • Exercice n°1 : Gardez le sujet de départ et refaites l’exercice en respectant le même ordre : 1) métaphore filée, 2) métaphore filée + anaphores et interrogations oratoires) mais en utilisant le champ lexical du voyage ou du déplacement (route, partir, etc.) : comme vous l’avez vu, c’est d’abord un travail de style et d’approfondissement qui est attendu de vous. Jeudi prochain à 21 heures précises, je mettrai en ligne un corrigé type avec le deuxième entraînement. D’ici là, vous pouvez m’envoyer en ligne vos contributions ou me les remettre en cours (Jeudi prochain dernière limite). Elles seront prises en compte comme bonus dans le calcul de la moyenne du troisième trimestre (selon les modalités expliquées en cours). Attention : pour bénéficier du bonus, vous devez impérativement faire les 4 exercices en respectant le calendrier proposé ! Bon courage !

Les représentations de la femme dans "Candide" de Voltaire

Support de Cours

La femme et ses représentations

dans Candide

Stéréotypes et Sexisme

Introduction

Traduit dans le monde entier, Candide est unanimement reconnu comme le « chef-d’œuvre » voltairien, et plus largement comme un monument emblématique de la critique de la société entreprise par le siècle des Lumières. Impertinent, subversif, généreux, ce conte philosophique est donc l’un de ces classiques de la littérature universelle dont nul n’oserait récuser le décisif ascendant qu’il a pris depuis sa parution en 1759 pour imposer la grande idée des droits de l’homme. Nous avons vu dans une étude précédente combien, s’il fallait relativiser la portée purement « philosophique » de ce roman d’apprentissage, il convenait néanmoins de saluer l’intention idéologique de Voltaire d’avoir opposé aux absolus spéculatifs un nouvel ordre de vie et de valeurs par l’action et le travail : c’est en effet le sens qu’il convient de donner à la fameuse métaphore du jardin au chapitre trente.

Cela étant dit, faut-il pour autant se priver d’une relecture critique du texte voltairien ? Certains auteurs, et non des moindres ont par exemple montré combien Voltaire n’avait pas échappé à de nombreux stéréotypes liés à son combat contre la morale judéo-chrétienne. J’en veux pour preuve l’ouvrage de Léon Poliakov qui dans son Histoire de l’antisémitisme n’hésite pas à ranger Voltaire parmi d’autres écrivains judéophobes. Il semblerait donc que l’auteur de Candide, tout en rejetant explicitement les ethnocentrismes, n’ait pas moins été victime des idées reçues et parfois des graves dérives d’une pensée qui se voulait pourtant  progressiste et n’avait d’autre but que de combattre les préjugés. Plus particulièrement dans le cadre de la Journée Internationale de la Femme, je vous invite à une réinterprétation plus sociologique de certains passages de Candide, au regard de la condition féminine.

La difficulté quand on lit ce conte philosophique, c’est de se défaire d’une certaine lecture d’impulsion, caractéristique du registre burlesque : reconnaissons-le, les femmes dans Candide font l’objet de toutes les railleries. L’auteur impose avant tout une certaine image identificatrice qui, constituant tout à la fois le paradoxe et la réussite de ce livre, n’en conforte pas moins les lecteurs dans des rôles assez stéréotypés : on a envie de rire plus que de réfléchir quand on lit par exemple ce passage bien connu du chapitre un :

« Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une très grande considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante. »

L’ironie, arme favorite de Voltaire, joue ici à plein régime : la présentation très tendancieuse de Cunégonde (qui n’a que dix-sept ans), ridicule plutôt que noble, en fait d’emblée une sorte d’objet de consommation, à la limite de la « denrée » humaine, de la pâtisserie « copieuse », lourde à digérer de surcroît ! Toute cette mise en scène est également, si j’ose dire, une « mise en bouche » pour le lecteur : ici, la déformation fictionnelle du corps de la femme, sa plasticité physique exagérée provoque un effet de sens très ambigu : l’aspect « alimentaire » de Cunégonde annonce son appétence « sensuelle » évoquée très explicitement quelques lignes plus loin à l’occasion de la fameuse « leçon de physique expérimentale » de Pangloss :

Un jour, Cunégonde, en se promenant auprès du château, dans le petit bois qu’on appelait parc, vit entre des broussailles le docteur Pangloss qui donnait une leçon de physique expérimentale à la femme de chambre de sa mère, petite brune très jolie et très docile. Comme Mlle Cunégonde avait beaucoup de dispositions pour les sciences, elle observa, sans souffler, les expériences réitérées dont elle fut témoin ; elle vit clairement la raison suffisante du docteur, les effets et les causes, et s’en retourna tout agitée, toute pensive, toute remplie du désir d’être savante, songeant qu’elle pourrait bien être la raison suffisante du jeune Candide, qui pouvait aussi être la sienne.

Le problème ici tient à ce que j’appellerai l’instrumentalisation du corps de la femme à des fins « philosophiques » : certes, on dira que le but de Voltaire est de s’attaquer au monde aristocratique, mais la difficulté vient des moyens employés : l’auteur ne tend-il pas à imposer ou à reproduire une image déviée et dégradante de la femme, utilisée surtout comme faire-valoir ? Certains commentateurs ont souligné à propos de ce passage l’importance accordée par Voltaire à la « complexité » de la sensualité féminine  (¹). Mais Cunégonde ne serait-elle pas davantage le type même de « l’objet consommable » ? Son attitude posturale très ridiculisée induit également une posture psychique infériorisante, dénuée précisément de « complexité » : sensualité, hypocrisie, sottise et passivité, autant de traits présumés de la femme qui en dessinent un portrait imaginaire, largement conditionné par les stéréotypes. Le chapitre huit de Candide est sur ce point très représentatif :

« J’étais dans mon lit et je dormais profondément, quand il plut au ciel d’envoyer les Bulgares dans notre beau château de Thunder-ten-tronckh ; ils égorgèrent mon père et mon frère, et coupèrent ma mère par morceaux. Un grand Bulgare, haut de six pieds, voyant qu’à ce spectacle j’avais perdu connaissance, se mit à me violer ; cela me fit revenir, je repris mes sens, je criai, je me débattis, je mordis, j’égratignai, je voulais arracher les yeux à ce grand Bulgare, ne sachant pas que tout ce qui arrivait dans le château de mon père était une chose d’usage : le brutal me donna un coup de couteau dans le flanc gauche dont je porte encore la marque. » – Hélas ! j’espère bien la voir, dit le naïf Candide. – Vous la verrez, dit Cunégonde ; mais continuons. – Continuez, dit Candide.

Elle reprit ainsi le fil de son histoire : « Un capitaine bulgare entra, il me vit toute sanglante, et le soldat ne se dérangeait pas. Le capitaine se mit en colère du peu de respect que lui témoignait ce brutal, et le tua sur mon corps. Ensuite il me fit panser, et m’emmena prisonnière de guerre dans son quartier. Je blanchissais le peu de chemises qu’il avait, je faisais sa cuisine ; il me trouvait fort jolie, il faut l’avouer ; et je ne nierai pas qu’il ne fût très bien fait, et qu’il n’eût la peau blanche et douce ; d’ailleurs peu d’esprit, peu de philosophie : on voyait bien qu’il n’avait pas été élevé par le docteur Pangloss. Au bout de trois mois, ayant perdu tout son argent et s’étant dégoûté de moi, il me vendit à un Juif nommé don Issacar, qui trafiquait en Hollande et en Portugal, et qui aimait passionnément les femmes. Ce Juif s’attacha beaucoup à ma personne, mais il ne pouvait en triompher ; je lui ai mieux résisté qu’au soldat bulgare. Une personne d’honneur peut être violée une fois, mais sa vertu s’en affermit. »

Comme vous le voyez, un certain nombre de lieux communs traversent ce passage. La femme ici est non seulement animalisée mais elle est aussi « objetisée » : victime complaisante, elle semble accepter sa condition de femme passive. Voltaire n’hésite pas à en rajouter, raillant même l’attention que Cunégonde porte à son ravisseur durant le viol par un comportement où la sensualité rivalise avec l’honneur. L’arrière-plan nécrophile et sado-masochiste de cet extrait valorise par ailleurs une scénographie agressive d’autant plus tendancieuse qu’elle légitime un certain nombre d’images résiduelles du viol dans l’imaginaire masculin, et qui sont encore largement répandues dans la société contemporaine (²).

Derrière la dévalorisation de l’idéal amoureux, c’est surtout l’image de la femme qui semble ici discréditée : le tempérament outrancièrement « sensuel » et « insatiable » de Cunégonde présentée comme une « femme-potiche », joint à une existence avilissante de « femme boniche » amènent à questionner cette violence symbolique voulue par Voltaire : les mots d' »honneur » ou de « vertu » employés ici par antiphrase font de Cunégonde l’archétype de la femme « sans tête » : elle n’est qu’un corps dénué d’esprit, un bien échangeable selon une logique consumériste :

Le grand inquisiteur m’aperçut un jour à la messe, il me lorgna beaucoup, et me fit dire qu’il avait à me parler pour des affaires secrètes. Je fus conduite à son palais ; je lui appris ma naissance ; il me représenta combien il était au-dessous de mon rang d’appartenir à un Israélite. On proposa de sa part à don Issacar de me céder à monseigneur. Don Issacar, qui est le banquier de la cour et homme de crédit, n’en voulut rien faire. L’inquisiteur le menaça d’un auto-da-fé. Enfin mon Juif, intimidé, conclut un marché, par lequel la maison et moi leur appartiendraient à tous deux en commun : que le Juif aurait pour lui les lundis, mercredis et le jour du sabbat, et que l’inquisiteur aurait les autres jours de la semaine.

Il est évident que l’image de Cunégonde dans ce chapitre se rattache aux rôles archétypiques que la société reconnaît à la femme soumise : elle n’est présentée qu’à travers l’espace domestique : salle de bain, salle à manger, cuisine, chambre à coucher (« Je blanchissais le peu de chemises qu’il avait, je faisais sa cuisine ; il me trouvait fort jolie, il faut l’avouer ; et je ne nierai pas qu’il ne fût très bien fait, et qu’il n’eût la peau blanche et douce »). Séductrice, disponible, Cunégonde est aussi dispensatrice de fantasmes, au premier rang desquels figure sa condition de « présentoir » et d’objet consommable.

La question que l’on pourrait poser est donc la suivante : par quel mécanisme convenu nul n’oserait sourire au chapitre dix-neuf qui dénonce le caractère ignoble de l’esclavage, et pourquoi nous prend-il ici l’envie de rire alors qu’il est question de viol et d’asservissement ? Car la réalité décrite est bien celle de la femme violée, battue, menacée, enfermée et marchandisée par ceux-là même qui l’ont achetée ! Certains diront sans doute que Voltaire use du registre réaliste ou burlesque pour mieux dénoncer le mal et l’absurdité de la vie. Certes, on peut admettre en effet que dans les chapitres sur la guerre ou l’Inquisition, l’antiphrase et l’ironie servent clairement ce but.

Mais ici, la dégradation de Cunégonde n’aboutit pas à une réflexion sur la femme dans son statut et sa condition. Bien au contraire, loin d’inviter à une lecture réflexive, ce passage cantonne le lecteur de Candide dans une lecture impulsive (encourageant au passage les poncifs sur la figure du banquier juif ou la corruption des hommes d’Église) : les nombreuses critiques que Voltaire dirigera une grande partie de sa vie contre le sexe féminin ont d’ailleurs maintenu ses héroïnes dans un imaginaire social largement façonné par les stéréotypes masculins et les conventions sociales de son époque. Il est quand même navrant de constater que l’émancipation de Cunégonde, à la différence de celle de Candide ne peut s’exprimer uniquement que sur le terrain sentimental ou domestique. Il n’est dès lors pas étonnant que la fin du texte la présente comme vieillie et peu désirable :

Le tendre amant Candide, en voyant sa belle Cunégonde rembrunie, les yeux éraillés, la gorge sèche, les joues ridées, les bras rouges et écaillés, recula trois pas saisi d’horreur, et avança ensuite par bon procédé. Elle embrassa Candide et son frère ; on embrassa la vieille : Candide les racheta toutes deux. Il y avait une petite métairie dans le voisinage : la vieille proposa à Candide de s’en accommoder, en attendant que toute la troupe eût une meilleure destinée. Cunégonde ne savait pas qu’elle était enlaidie, personne ne l’en avait avertie : elle fit souvenir Candide de ses promesses avec un ton si absolu que le bon Candide n’osa pas la refuser.

Alors que Candide, parvenu au terme de son apprentissage intellectuel, arrive à s’affranchir des enseignements factices de Pangloss, Cunégonde n’est même plus dans le « Sois belle et tais-toi » du chapitre huit. Elle perd ici son statut de femme pour se cantonner dans la fausseté de l’idéal sentimental. Dans le passage peut d’ailleurs se lire une peur anthropologique latente liée à la question de la reproduction : en faisant de Cunégonde une femme vieille, on comprend que lui sera parallèlement dénié son statut de mère : une récurrence remarquable est la présence du champ lexical de la laideur et de la vieillesse : « rembrunie, éraillés, sèche, écaillés » etc.

Autant de termes qui la condamnent : d’objet consommable, Cunégonde devient objet jetable. Sur le plan symbolique et moral, on pourrait voir dans cet enlaidissement la conséquence de son égoïsme et de sa lâcheté. À la fin du conte, Cunégonde n’a plus rien à espérer de la vie : elle n’est sauvée que par le comportement « vertueux » d’un Candide militant et « citoyen » qui semble presque la « racheter » de ses fautes passées, et lui éviter ainsi de finir dans le malheur et la solitude.

Nous apprendrons un peu plus loin dans le texte qu’elle devient « une excellente pâtissière », remarque pleine d’humour s’il en est, et qui n’est pas sans évoquer le premier chapitre. Certains commentateurs ont cru déceler ici une certaine tendresse de l’auteur pour son héroïne. Je serai personnellement plus réservé : en fait, même à la fin du conte, Cunégonde est maintenue dans la sphère privée, dans une posture de dominée et de dépendance, et sans doute ne serait-il pas faux de parler d’attitude discriminatoire.

De fait, alors que Candide s’est libéré, les autres personnages du livre semblent condamnés par un déterminisme héréditaire, social ou sexuel qui n’est pas sans évoquer la question de l’ambiguïté de l’écrivain à l’égard de ses créatures : tantôt Voltaire semble s’identifier à ses protagonistes comme pour la dernière réplique de Candide (c’est bien Voltaire qui parle), tantôt il les abandonne à la trivialité de leur condition…

Conclusion

La question est donc de savoir si la fin justifie toujours les moyens ? De fait, si Voltaire a été le grand écrivain de la raison et du refus des préjugés, il n’a pas pour autant renoncé à exploiter inconsciemment ou à dessein certains clichés ou stéréotypes, et Jacqueline Feldman a bien raison d’affirmer à propos des Lumières que « la rationalité est avant tout le privilège de ceux qui détiennent le pouvoir » (³). C’est précisément le sens du cri de révolte lancé par Olympe de Gouges en 1791 dans sa célèbre « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne« . Deux ans plus tard, elle sera guillotinée…

© Bruno Rigolt
Lycée en Forêt (Montargis, France) / Espace Pédagogique Contributif

NOTES

(1) D. J. Adams La Femme dans les contes et les romans de Voltaire, Nizet Paris 1974.
(2) On a presque envie de dire de Cunégonde « qu’elle l’a bien cherché ». J’ose à peine ici faire référence à ces sketchs bien connus intitulés « Le viol de Monique » (Coluche) ou « Le lâcher de s… » (Bigard) et qui semblent s’inscrire dans le droit fil de ce registre burlesque. En fait, il faut noter que dans cette insistance des stéréotypes les plus éculés réside une profonde discrimination qui paraît aller à l’encontre de tout humanisme et de toute modernité sociale.
(3) Jacqueline Feldman « Le savant et la sage-femme », Impact, Unesco (volume 25, n°1, 1975).

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Les représentations de la femme dans « Candide » de Voltaire

Support de Cours

La femme et ses représentations

dans Candide

Stéréotypes et Sexisme

Introduction

Traduit dans le monde entier, Candide est unanimement reconnu comme le « chef-d’œuvre » voltairien, et plus largement comme un monument emblématique de la critique de la société entreprise par le siècle des Lumières. Impertinent, subversif, généreux, ce conte philosophique est donc l’un de ces classiques de la littérature universelle dont nul n’oserait récuser le décisif ascendant qu’il a pris depuis sa parution en 1759 pour imposer la grande idée des droits de l’homme. Nous avons vu dans une étude précédente combien, s’il fallait relativiser la portée purement « philosophique » de ce roman d’apprentissage, il convenait néanmoins de saluer l’intention idéologique de Voltaire d’avoir opposé aux absolus spéculatifs un nouvel ordre de vie et de valeurs par l’action et le travail : c’est en effet le sens qu’il convient de donner à la fameuse métaphore du jardin au chapitre trente.

Cela étant dit, faut-il pour autant se priver d’une relecture critique du texte voltairien ? Certains auteurs, et non des moindres ont par exemple montré combien Voltaire n’avait pas échappé à de nombreux stéréotypes liés à son combat contre la morale judéo-chrétienne. J’en veux pour preuve l’ouvrage de Léon Poliakov qui dans son Histoire de l’antisémitisme n’hésite pas à ranger Voltaire parmi d’autres écrivains judéophobes. Il semblerait donc que l’auteur de Candide, tout en rejetant explicitement les ethnocentrismes, n’ait pas moins été victime des idées reçues et parfois des graves dérives d’une pensée qui se voulait pourtant  progressiste et n’avait d’autre but que de combattre les préjugés. Plus particulièrement dans le cadre de la Journée Internationale de la Femme, je vous invite à une réinterprétation plus sociologique de certains passages de Candide, au regard de la condition féminine.

La difficulté quand on lit ce conte philosophique, c’est de se défaire d’une certaine lecture d’impulsion, caractéristique du registre burlesque : reconnaissons-le, les femmes dans Candide font l’objet de toutes les railleries. L’auteur impose avant tout une certaine image identificatrice qui, constituant tout à la fois le paradoxe et la réussite de ce livre, n’en conforte pas moins les lecteurs dans des rôles assez stéréotypés : on a envie de rire plus que de réfléchir quand on lit par exemple ce passage bien connu du chapitre un :

« Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une très grande considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante. »

L’ironie, arme favorite de Voltaire, joue ici à plein régime : la présentation très tendancieuse de Cunégonde (qui n’a que dix-sept ans), ridicule plutôt que noble, en fait d’emblée une sorte d’objet de consommation, à la limite de la « denrée » humaine, de la pâtisserie « copieuse », lourde à digérer de surcroît ! Toute cette mise en scène est également, si j’ose dire, une « mise en bouche » pour le lecteur : ici, la déformation fictionnelle du corps de la femme, sa plasticité physique exagérée provoque un effet de sens très ambigu : l’aspect « alimentaire » de Cunégonde annonce son appétence « sensuelle » évoquée très explicitement quelques lignes plus loin à l’occasion de la fameuse « leçon de physique expérimentale » de Pangloss :

Un jour, Cunégonde, en se promenant auprès du château, dans le petit bois qu’on appelait parc, vit entre des broussailles le docteur Pangloss qui donnait une leçon de physique expérimentale à la femme de chambre de sa mère, petite brune très jolie et très docile. Comme Mlle Cunégonde avait beaucoup de dispositions pour les sciences, elle observa, sans souffler, les expériences réitérées dont elle fut témoin ; elle vit clairement la raison suffisante du docteur, les effets et les causes, et s’en retourna tout agitée, toute pensive, toute remplie du désir d’être savante, songeant qu’elle pourrait bien être la raison suffisante du jeune Candide, qui pouvait aussi être la sienne.

Le problème ici tient à ce que j’appellerai l’instrumentalisation du corps de la femme à des fins « philosophiques » : certes, on dira que le but de Voltaire est de s’attaquer au monde aristocratique, mais la difficulté vient des moyens employés : l’auteur ne tend-il pas à imposer ou à reproduire une image déviée et dégradante de la femme, utilisée surtout comme faire-valoir ? Certains commentateurs ont souligné à propos de ce passage l’importance accordée par Voltaire à la « complexité » de la sensualité féminine  (¹). Mais Cunégonde ne serait-elle pas davantage le type même de « l’objet consommable » ? Son attitude posturale très ridiculisée induit également une posture psychique infériorisante, dénuée précisément de « complexité » : sensualité, hypocrisie, sottise et passivité, autant de traits présumés de la femme qui en dessinent un portrait imaginaire, largement conditionné par les stéréotypes. Le chapitre huit de Candide est sur ce point très représentatif :

« J’étais dans mon lit et je dormais profondément, quand il plut au ciel d’envoyer les Bulgares dans notre beau château de Thunder-ten-tronckh ; ils égorgèrent mon père et mon frère, et coupèrent ma mère par morceaux. Un grand Bulgare, haut de six pieds, voyant qu’à ce spectacle j’avais perdu connaissance, se mit à me violer ; cela me fit revenir, je repris mes sens, je criai, je me débattis, je mordis, j’égratignai, je voulais arracher les yeux à ce grand Bulgare, ne sachant pas que tout ce qui arrivait dans le château de mon père était une chose d’usage : le brutal me donna un coup de couteau dans le flanc gauche dont je porte encore la marque. » – Hélas ! j’espère bien la voir, dit le naïf Candide. – Vous la verrez, dit Cunégonde ; mais continuons. – Continuez, dit Candide.

Elle reprit ainsi le fil de son histoire : « Un capitaine bulgare entra, il me vit toute sanglante, et le soldat ne se dérangeait pas. Le capitaine se mit en colère du peu de respect que lui témoignait ce brutal, et le tua sur mon corps. Ensuite il me fit panser, et m’emmena prisonnière de guerre dans son quartier. Je blanchissais le peu de chemises qu’il avait, je faisais sa cuisine ; il me trouvait fort jolie, il faut l’avouer ; et je ne nierai pas qu’il ne fût très bien fait, et qu’il n’eût la peau blanche et douce ; d’ailleurs peu d’esprit, peu de philosophie : on voyait bien qu’il n’avait pas été élevé par le docteur Pangloss. Au bout de trois mois, ayant perdu tout son argent et s’étant dégoûté de moi, il me vendit à un Juif nommé don Issacar, qui trafiquait en Hollande et en Portugal, et qui aimait passionnément les femmes. Ce Juif s’attacha beaucoup à ma personne, mais il ne pouvait en triompher ; je lui ai mieux résisté qu’au soldat bulgare. Une personne d’honneur peut être violée une fois, mais sa vertu s’en affermit. »

Comme vous le voyez, un certain nombre de lieux communs traversent ce passage. La femme ici est non seulement animalisée mais elle est aussi « objetisée » : victime complaisante, elle semble accepter sa condition de femme passive. Voltaire n’hésite pas à en rajouter, raillant même l’attention que Cunégonde porte à son ravisseur durant le viol par un comportement où la sensualité rivalise avec l’honneur. L’arrière-plan nécrophile et sado-masochiste de cet extrait valorise par ailleurs une scénographie agressive d’autant plus tendancieuse qu’elle légitime un certain nombre d’images résiduelles du viol dans l’imaginaire masculin, et qui sont encore largement répandues dans la société contemporaine (²).

Derrière la dévalorisation de l’idéal amoureux, c’est surtout l’image de la femme qui semble ici discréditée : le tempérament outrancièrement « sensuel » et « insatiable » de Cunégonde présentée comme une « femme-potiche », joint à une existence avilissante de « femme boniche » amènent à questionner cette violence symbolique voulue par Voltaire : les mots d' »honneur » ou de « vertu » employés ici par antiphrase font de Cunégonde l’archétype de la femme « sans tête » : elle n’est qu’un corps dénué d’esprit, un bien échangeable selon une logique consumériste :

Le grand inquisiteur m’aperçut un jour à la messe, il me lorgna beaucoup, et me fit dire qu’il avait à me parler pour des affaires secrètes. Je fus conduite à son palais ; je lui appris ma naissance ; il me représenta combien il était au-dessous de mon rang d’appartenir à un Israélite. On proposa de sa part à don Issacar de me céder à monseigneur. Don Issacar, qui est le banquier de la cour et homme de crédit, n’en voulut rien faire. L’inquisiteur le menaça d’un auto-da-fé. Enfin mon Juif, intimidé, conclut un marché, par lequel la maison et moi leur appartiendraient à tous deux en commun : que le Juif aurait pour lui les lundis, mercredis et le jour du sabbat, et que l’inquisiteur aurait les autres jours de la semaine.

Il est évident que l’image de Cunégonde dans ce chapitre se rattache aux rôles archétypiques que la société reconnaît à la femme soumise : elle n’est présentée qu’à travers l’espace domestique : salle de bain, salle à manger, cuisine, chambre à coucher (« Je blanchissais le peu de chemises qu’il avait, je faisais sa cuisine ; il me trouvait fort jolie, il faut l’avouer ; et je ne nierai pas qu’il ne fût très bien fait, et qu’il n’eût la peau blanche et douce »). Séductrice, disponible, Cunégonde est aussi dispensatrice de fantasmes, au premier rang desquels figure sa condition de « présentoir » et d’objet consommable.

La question que l’on pourrait poser est donc la suivante : par quel mécanisme convenu nul n’oserait sourire au chapitre dix-neuf qui dénonce le caractère ignoble de l’esclavage, et pourquoi nous prend-il ici l’envie de rire alors qu’il est question de viol et d’asservissement ? Car la réalité décrite est bien celle de la femme violée, battue, menacée, enfermée et marchandisée par ceux-là même qui l’ont achetée ! Certains diront sans doute que Voltaire use du registre réaliste ou burlesque pour mieux dénoncer le mal et l’absurdité de la vie. Certes, on peut admettre en effet que dans les chapitres sur la guerre ou l’Inquisition, l’antiphrase et l’ironie servent clairement ce but.

Mais ici, la dégradation de Cunégonde n’aboutit pas à une réflexion sur la femme dans son statut et sa condition. Bien au contraire, loin d’inviter à une lecture réflexive, ce passage cantonne le lecteur de Candide dans une lecture impulsive (encourageant au passage les poncifs sur la figure du banquier juif ou la corruption des hommes d’Église) : les nombreuses critiques que Voltaire dirigera une grande partie de sa vie contre le sexe féminin ont d’ailleurs maintenu ses héroïnes dans un imaginaire social largement façonné par les stéréotypes masculins et les conventions sociales de son époque. Il est quand même navrant de constater que l’émancipation de Cunégonde, à la différence de celle de Candide ne peut s’exprimer uniquement que sur le terrain sentimental ou domestique. Il n’est dès lors pas étonnant que la fin du texte la présente comme vieillie et peu désirable :

Le tendre amant Candide, en voyant sa belle Cunégonde rembrunie, les yeux éraillés, la gorge sèche, les joues ridées, les bras rouges et écaillés, recula trois pas saisi d’horreur, et avança ensuite par bon procédé. Elle embrassa Candide et son frère ; on embrassa la vieille : Candide les racheta toutes deux. Il y avait une petite métairie dans le voisinage : la vieille proposa à Candide de s’en accommoder, en attendant que toute la troupe eût une meilleure destinée. Cunégonde ne savait pas qu’elle était enlaidie, personne ne l’en avait avertie : elle fit souvenir Candide de ses promesses avec un ton si absolu que le bon Candide n’osa pas la refuser.

Alors que Candide, parvenu au terme de son apprentissage intellectuel, arrive à s’affranchir des enseignements factices de Pangloss, Cunégonde n’est même plus dans le « Sois belle et tais-toi » du chapitre huit. Elle perd ici son statut de femme pour se cantonner dans la fausseté de l’idéal sentimental. Dans le passage peut d’ailleurs se lire une peur anthropologique latente liée à la question de la reproduction : en faisant de Cunégonde une femme vieille, on comprend que lui sera parallèlement dénié son statut de mère : une récurrence remarquable est la présence du champ lexical de la laideur et de la vieillesse : « rembrunie, éraillés, sèche, écaillés » etc.

Autant de termes qui la condamnent : d’objet consommable, Cunégonde devient objet jetable. Sur le plan symbolique et moral, on pourrait voir dans cet enlaidissement la conséquence de son égoïsme et de sa lâcheté. À la fin du conte, Cunégonde n’a plus rien à espérer de la vie : elle n’est sauvée que par le comportement « vertueux » d’un Candide militant et « citoyen » qui semble presque la « racheter » de ses fautes passées, et lui éviter ainsi de finir dans le malheur et la solitude.

Nous apprendrons un peu plus loin dans le texte qu’elle devient « une excellente pâtissière », remarque pleine d’humour s’il en est, et qui n’est pas sans évoquer le premier chapitre. Certains commentateurs ont cru déceler ici une certaine tendresse de l’auteur pour son héroïne. Je serai personnellement plus réservé : en fait, même à la fin du conte, Cunégonde est maintenue dans la sphère privée, dans une posture de dominée et de dépendance, et sans doute ne serait-il pas faux de parler d’attitude discriminatoire.

De fait, alors que Candide s’est libéré, les autres personnages du livre semblent condamnés par un déterminisme héréditaire, social ou sexuel qui n’est pas sans évoquer la question de l’ambiguïté de l’écrivain à l’égard de ses créatures : tantôt Voltaire semble s’identifier à ses protagonistes comme pour la dernière réplique de Candide (c’est bien Voltaire qui parle), tantôt il les abandonne à la trivialité de leur condition…

Conclusion

La question est donc de savoir si la fin justifie toujours les moyens ? De fait, si Voltaire a été le grand écrivain de la raison et du refus des préjugés, il n’a pas pour autant renoncé à exploiter inconsciemment ou à dessein certains clichés ou stéréotypes, et Jacqueline Feldman a bien raison d’affirmer à propos des Lumières que « la rationalité est avant tout le privilège de ceux qui détiennent le pouvoir » (³). C’est précisément le sens du cri de révolte lancé par Olympe de Gouges en 1791 dans sa célèbre « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne« . Deux ans plus tard, elle sera guillotinée…

© Bruno Rigolt
Lycée en Forêt (Montargis, France) / Espace Pédagogique Contributif

NOTES

(1) D. J. Adams La Femme dans les contes et les romans de Voltaire, Nizet Paris 1974.
(2) On a presque envie de dire de Cunégonde « qu’elle l’a bien cherché ». J’ose à peine ici faire référence à ces sketchs bien connus intitulés « Le viol de Monique » (Coluche) ou « Le lâcher de s… » (Bigard) et qui semblent s’inscrire dans le droit fil de ce registre burlesque. En fait, il faut noter que dans cette insistance des stéréotypes les plus éculés réside une profonde discrimination qui paraît aller à l’encontre de tout humanisme et de toute modernité sociale.
(3) Jacqueline Feldman « Le savant et la sage-femme », Impact, Unesco (volume 25, n°1, 1975).

Les internautes ayant lu cet article peuvent également consulter :

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Classe de Seconde 12… "La Mort à Venise" (Thomas Mann)

 

Introduction à la nouvelle de Thomas Mann
La Mort à Venise (1912)

venise2.1236328738.jpgLa séquence 6 qui va débuter mi-mars va être l’occasion de lire une nouvelle de l’écrivain allemand Thomas Mann : La Mort à Venise (Der Tod in Venedig) et de la rapprocher du film de Luchino Visconti Morte a Venezia (1971). La nouvelle est considérée comme lue à partir de la rentrée de mars 2009.

Si l’on s’en tient à l’histoire, la nouvelle de Thomas Mann ne réserve que peu d’action. Le schéma narratif est lui-même assez prévisible. Voici comment l’encyclopédie en ligne Wikipedia la résume : « Le personnage principal est Gustav von Aschenbach, un écrivain munichois reconnu (et anobli) dans la cinquantaine. Troublé par une mystérieuse rencontre lors d’une promenade, il part en voyage sur la côte adriatique et finit par aboutir à Venise, une ville dans laquelle il ne s’est jamais senti à l’aise. Dans son hôtel du Lido, Aschenbach découvre Tadzio, un jeune adolescent polonais qui le fascine par sa beauté. Il n’ose l’aborder et le suit dans la ville de Venise. Aschenbach, en proie à une sombre mélancolie et une sorte de fièvre dionysiaque, succombe à l’épidémie de choléra asiatique qui fait alors rage dans la ville. Il meurt sur la plage en contemplant une dernière fois l’objet de sa fascination. » Comme vous le voyez, point de suspens et encore moins d’action. C’est donc davantage dans une optique symbolique et intertextuelle qu’il nous faudra lire La Mort à Venise.

Publiée dès 1912 en tirage limité et un an plus tard pour le grand public, venise1.1236335549.jpgla nouvelle de Thomas Mann préfigure le processus de décadence qui affecte la société bourgeoise, et plus largement la crise de valeurs qui va précipiter l’Europe dans la première guerre mondiale. Ce n’est pas un hasard si Aschenbach est l’archétype (le modèle) même de l’artiste : apolitique, au sommet de la gloire littéraire, anobli, il mène dans un quartier chic de Munich une existence de bourgeois, sans se préoccuper le moins du monde des tensions croissantes qui vont déclencher le retournement majeur de l’économie et de la société juste avant la guerre. Il y a d’ailleurs une part autobiographique dans la nouvelle : en premier lieu Thomas Mann avait entrepris un voyage à Venise au printemps 1911 avec son frère et sa femme Katia, précisément au Grand Hôtel des Bains du Lido, là même où descend Aschenbach. Mais il y a également un rapport d’analogie très net entre l’écrivain et le personnage de la nouvelle : tous deux sont conservateurs politiquement et l’on pourrait voir dans le journal que Thomas Mann publiera en 1918 Considérations d’un apolitique, un écho à l’apolitisme d’Aschenbach. Il  y a aussi dans la nouvelle de Thomas Mann une profonde nostalgie perceptible : celle du mythe romantique d’une Allemagne forte et conquérante en contradiction avec les bouleversements de l’histoire.

Quand Thomas Mann écrit La Mort à Venise, il a trente-six ans, mais il est en proie à cette époque à une profonde crise existentielle. En premier lieu, sa rencontre avec le compositeur Gustav Mahler, va le bouleverser. Lui si conservateur va être révélé à une musique profondément novatrice qui va influencervenise5.1236329948.jpg d’ailleurs sa conversion politique et intellectuelle après la guerre (Thomas Mann se ralliera aux idées libérales). Visconti dans son film fera d’ailleurs d’Aschenbach un compositeur. Le fameux adagietto de la Cinquième symphonie de Mahler rythme sur le plan musical de nombreuses scènes du film de Visconti (pour écouter cet « adagietto », cliquez ici). Il est donc certain que la rencontre avec Mahler introduit un renouveau dans la vie de Thomas Mann. À cet égard, le grand critique littéraire allemand Hans Mayer a écrit que « Thomas Mann tue son Aschenbach pour […] se débarrasser des conflits et des maximes esthétiques de son existence antérieure » (Hans Mayer, Thomas Mann, PUF 1994).

Au niveau des thèmes, il ne vous aura pas échappé que le « mythe romantique » et la mort hantent la nouvelle : pourquoi Aschenbach va-t-il mourir? D’un point de vue autobiographique, comme je l’indiquais plus haut, les événements rapportés dans la nouvelle eurent lieu vers la fin mai, début juin 1911. Thomas Mann et sa femme Katia avaient rencontré à l’Hôtel des Bains une famille polonaise. Le jeune baron qui s’appelait Vladislav et que l’on appelait Wiachio est le portrait du jeune Tadzio dans la nouvelle. Quant au choléra, on releva vers 1911 plusieurs cas. Mais ce qui surprend  à la lecture du texte, c’est qu’on a l’impression que Tadzio est une sorte de messager de la mort. Ne vous attachez surtout pas à un quelconque aspect « sexuel » dans cette nouvelle : l’amour d’Aschenbach pour Tadzio est la métaphore d’une impossible quête : venise4.1236329820.jpgquête de l’impossible désir d’un amour lui-même impossible. C’est donc davantage à un niveau allégorique que vous devez appréhender la nouvelle de Thomas Mann. Une allégorie est la représentation concrète d’une idée abstraite. Ici Tadzio est l’allégorie et de la perfection esthétique et de l’interdit. C’est ce qui va précipiter Aschenbach vers la mort.

Autant dans le film de Visconti, c’est l’aspect politique qui est mis en avant, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres de ses réalisations (ici la décomposition d’une classe sociale, la bourgeoisie ; dans Le Guépard l’effondrement de l’aristocratie), autant dans la nouvelle de Thomas Mann c’est plutôt le thème romantique de la mort qui est mis en scène, et même de la mort choisie au terme d’un processus d’auto-destruction : Aschenbach meurt précisément parce qu’il prend conscience qu’il n’a plus rien à dire. Vous avez à cet égard certainement remarqué en lisant l’ouvrage, les nombreuses allusions à la Grèce antique. Elles ont sur le plan symbolique une signification capitale et se rapportent à l’opposition Apollon/Dionysos. L’antithèse entre l’aspect « dionysiaque » de l’œuvre (ce qui renvoie à la passion, à la sensualité, à l’excitation, etc.) et l’aspect « apollinien » (ce qui évoque davantage l’ordre, la mesure et ici l’épuisement, la fatalité) est essentielle pour comprendre le dualisme du texte.

brunorigolt-venise.1241641957.jpgIl faut enfin noter bien évidemment l’importance symbolique de Venise. La ville est en effet source d’un conflit intérieur : la traversée de la cité des Doges par exemple est l’apothéose dans la nouvelle de la lutte symbolique entre l’envie voluptueuse et dionysiaque de fuir vers une destination « exotique », et le tragique « métier de vivre » qui ramène l’écrivain à son devoir moral, selon une logique davantage apollinienne. Dans cette lutte, l’image de Venise, ville mouvante, instable (la lagune) s’impose comme principe régulateur du récit : avant d’être une ville, elle est d’abord un espace onirique et symbolique : un lieu et un non-lieu à la fois…

Crédit photographique : Bruno Rigolt (pour l’ensemble des images)

Classe de Seconde 12… « La Mort à Venise » (Thomas Mann)

 

Introduction à la nouvelle de Thomas Mann

La Mort à Venise (1912)

venise2.1236328738.jpgLa séquence 6 qui va débuter mi-mars va être l’occasion de lire une nouvelle de l’écrivain allemand Thomas Mann : La Mort à Venise (Der Tod in Venedig) et de la rapprocher du film de Luchino Visconti Morte a Venezia (1971). La nouvelle est considérée comme lue à partir de la rentrée de mars 2009.

Si l’on s’en tient à l’histoire, la nouvelle de Thomas Mann ne réserve que peu d’action. Le schéma narratif est lui-même assez prévisible. Voici comment l’encyclopédie en ligne Wikipedia la résume : « Le personnage principal est Gustav von Aschenbach, un écrivain munichois reconnu (et anobli) dans la cinquantaine. Troublé par une mystérieuse rencontre lors d’une promenade, il part en voyage sur la côte adriatique et finit par aboutir à Venise, une ville dans laquelle il ne s’est jamais senti à l’aise. Dans son hôtel du Lido, Aschenbach découvre Tadzio, un jeune adolescent polonais qui le fascine par sa beauté. Il n’ose l’aborder et le suit dans la ville de Venise. Aschenbach, en proie à une sombre mélancolie et une sorte de fièvre dionysiaque, succombe à l’épidémie de choléra asiatique qui fait alors rage dans la ville. Il meurt sur la plage en contemplant une dernière fois l’objet de sa fascination. » Comme vous le voyez, point de suspens et encore moins d’action. C’est donc davantage dans une optique symbolique et intertextuelle qu’il nous faudra lire La Mort à Venise.

Publiée dès 1912 en tirage limité et un an plus tard pour le grand public, venise1.1236335549.jpgla nouvelle de Thomas Mann préfigure le processus de décadence qui affecte la société bourgeoise, et plus largement la crise de valeurs qui va précipiter l’Europe dans la première guerre mondiale. Ce n’est pas un hasard si Aschenbach est l’archétype (le modèle) même de l’artiste : apolitique, au sommet de la gloire littéraire, anobli, il mène dans un quartier chic de Munich une existence de bourgeois, sans se préoccuper le moins du monde des tensions croissantes qui vont déclencher le retournement majeur de l’économie et de la société juste avant la guerre. Il y a d’ailleurs une part autobiographique dans la nouvelle : en premier lieu Thomas Mann avait entrepris un voyage à Venise au printemps 1911 avec son frère et sa femme Katia, précisément au Grand Hôtel des Bains du Lido, là même où descend Aschenbach. Mais il y a également un rapport d’analogie très net entre l’écrivain et le personnage de la nouvelle : tous deux sont conservateurs politiquement et l’on pourrait voir dans le journal que Thomas Mann publiera en 1918 Considérations d’un apolitique, un écho à l’apolitisme d’Aschenbach. Il  y a aussi dans la nouvelle de Thomas Mann une profonde nostalgie perceptible : celle du mythe romantique d’une Allemagne forte et conquérante en contradiction avec les bouleversements de l’histoire.

Quand Thomas Mann écrit La Mort à Venise, il a trente-six ans, mais il est en proie à cette époque à une profonde crise existentielle. En premier lieu, sa rencontre avec le compositeur Gustav Mahler, va le bouleverser. Lui si conservateur va être révélé à une musique profondément novatrice qui va influencervenise5.1236329948.jpg d’ailleurs sa conversion politique et intellectuelle après la guerre (Thomas Mann se ralliera aux idées libérales). Visconti dans son film fera d’ailleurs d’Aschenbach un compositeur. Le fameux adagietto de la Cinquième symphonie de Mahler rythme sur le plan musical de nombreuses scènes du film de Visconti (pour écouter cet « adagietto », cliquez ici). Il est donc certain que la rencontre avec Mahler introduit un renouveau dans la vie de Thomas Mann. À cet égard, le grand critique littéraire allemand Hans Mayer a écrit que « Thomas Mann tue son Aschenbach pour […] se débarrasser des conflits et des maximes esthétiques de son existence antérieure » (Hans Mayer, Thomas Mann, PUF 1994).

Au niveau des thèmes, il ne vous aura pas échappé que le « mythe romantique » et la mort hantent la nouvelle : pourquoi Aschenbach va-t-il mourir? D’un point de vue autobiographique, comme je l’indiquais plus haut, les événements rapportés dans la nouvelle eurent lieu vers la fin mai, début juin 1911. Thomas Mann et sa femme Katia avaient rencontré à l’Hôtel des Bains une famille polonaise. Le jeune baron qui s’appelait Vladislav et que l’on appelait Wiachio est le portrait du jeune Tadzio dans la nouvelle. Quant au choléra, on releva vers 1911 plusieurs cas. Mais ce qui surprend  à la lecture du texte, c’est qu’on a l’impression que Tadzio est une sorte de messager de la mort. Ne vous attachez surtout pas à un quelconque aspect « sexuel » dans cette nouvelle : l’amour d’Aschenbach pour Tadzio est la métaphore d’une impossible quête : venise4.1236329820.jpgquête de l’impossible désir d’un amour lui-même impossible. C’est donc davantage à un niveau allégorique que vous devez appréhender la nouvelle de Thomas Mann. Une allégorie est la représentation concrète d’une idée abstraite. Ici Tadzio est l’allégorie et de la perfection esthétique et de l’interdit. C’est ce qui va précipiter Aschenbach vers la mort.

Autant dans le film de Visconti, c’est l’aspect politique qui est mis en avant, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres de ses réalisations (ici la décomposition d’une classe sociale, la bourgeoisie ; dans Le Guépard l’effondrement de l’aristocratie), autant dans la nouvelle de Thomas Mann c’est plutôt le thème romantique de la mort qui est mis en scène, et même de la mort choisie au terme d’un processus d’auto-destruction : Aschenbach meurt précisément parce qu’il prend conscience qu’il n’a plus rien à dire. Vous avez à cet égard certainement remarqué en lisant l’ouvrage, les nombreuses allusions à la Grèce antique. Elles ont sur le plan symbolique une signification capitale et se rapportent à l’opposition Apollon/Dionysos. L’antithèse entre l’aspect « dionysiaque » de l’œuvre (ce qui renvoie à la passion, à la sensualité, à l’excitation, etc.) et l’aspect « apollinien » (ce qui évoque davantage l’ordre, la mesure et ici l’épuisement, la fatalité) est essentielle pour comprendre le dualisme du texte.

brunorigolt-venise.1241641957.jpgIl faut enfin noter bien évidemment l’importance symbolique de Venise. La ville est en effet source d’un conflit intérieur : la traversée de la cité des Doges par exemple est l’apothéose dans la nouvelle de la lutte symbolique entre l’envie voluptueuse et dionysiaque de fuir vers une destination « exotique », et le tragique « métier de vivre » qui ramène l’écrivain à son devoir moral, selon une logique davantage apollinienne. Dans cette lutte, l’image de Venise, ville mouvante, instable (la lagune) s’impose comme principe régulateur du récit : avant d’être une ville, elle est d’abord un espace onirique et symbolique : un lieu et un non-lieu à la fois…

Crédit photographique : Bruno Rigolt (pour l’ensemble des images)

EAF Classes de Première : "Candide" ou le combat des Lumières

Support de cours
Candide ou le combat des Lumières
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Introduction

Publié anonymement à Genève en janvier 1759, Candide ou l’optimisme de Voltaire a emblématisé depuis sa parution le genre du conte philosophique. S’il prend la forme d’un violent réquisitoire contre la théorie leibnizienne de l’harmonie préétablie, force est d’admettre cependant que la critique voltairienne de la pensée de Leibniz se place davantage au niveau de la caricature que sur le plan du débat de concepts ou d’idées. C’est à juste titre qu’André Julliot faisait remarquer combien « nulle part dans ce roman il n’est question d’une pensée philosophique digne de ce nom […]. Les inepties proférées par Pangloss et les doutes non moins ridicules de Candide ne sauraient, en effet, concerner les thèses de Leibniz et encore moins leur ressembler »¹. Ces propos d’un philosophe illustrent à eux seuls la difficulté d’appréhender le texte voltairien selon l’acception conventionnelle du mot « philosophie » : savoir totalisant et questionnement abstrait visant à une interprétation globale du monde et de l’existence humaine.

C’est donc davantage sur le terrain politique et idéologique que celui de l’idéalisme philosophique qu’il faut envisager l’œuvre. En ce sens, Voltaire serait davantage un philosophe au sens moderne que le terme va prendre à partir des Lumières : dans cette perspective, le philosophe est celui qui par le développement du savoir et de la rationalité scientifique doit permettre une amélioration des conditions sociales et politiques. Il est essentiel de bien comprendre ce renouveau épistémologique à partir du dix-huitième siècle pour saisir à sa juste valeur la révolution sans précédent qu’a amenée le système de pensée de Voltaire. Aussi je vous propose dans ce support de cours de réfléchir à Candide selon une double perspective : la destruction d’un système métaphysique, et la justification d’une morale critique de la société.

Le système philosophique de Leibniz et son discrédit par Voltaire

Exposée en 1710 dans ses Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal, la théorie de Leibniz se fonde sur le concept d’optimisme ( « doctrine du meilleur »). Au dix-huitième siècle, il s’agit d’un néologisme dérivé du terme « optimum », superlatif de « bonum ». Philosophiquement parlant, l’optimisme se fonde sur une conception de la vie et de l’univers d’après laquelle tout est bien, ou le mieux possible grâce à une « harmonie préétablie » par Dieu : dans sa sagesse, « l’auteur des choses […] ne fait rien sans harmonie et sans raison » |source|. La question que pose Leibniz est donc la suivante : Pourquoi Dieu, par définition parfait, a-t-il créé un monde imparfait ? |source| La réponse proposée dans la Théodicée valorise le libre-arbitre des hommes : c’est en effet parce que Dieu les a voulu libres qu’ils peuvent faire le mal.

Mais ces « mauvaises » actions vont pourtant contribuer au perfectionnement du monde. Comme le dit Leibniz, « la limitation ou l’imperfection originale des créatures fait que même le meilleur plan de l’univers ne saurait être exempté de certains maux, mais qui y doivent tourner à un plus grand bien. Ce sont quelques désordres dans les parties, qui relèvent merveilleusement la beauté du tout; comme certaines dissonances, employées comme il faut, rendent l’harmonie plus belle » |source|. Le Mal est donc un moindre mal en vue d’un mieux : telle est la définition de l’optimisme. Chez Leibniz, la Théodicée constitue ainsi une réponse au débat philosophique sur l’origine du mal, le libre-arbitre de l’homme et l’idée d’harmonie universelle voulue par Dieu.

En délaissant intentionnellement cette grande question, éminemment philosophique, Voltaire a inscrit Candide dans un contexte beaucoup plus contingent et fantaisiste qui ne pouvait que discréditer, de par la simplification excessive et l’anticléricalisme implicite du texte, le concept d’optimisme². Faire de Pangloss le double de Leibniz, ce serait en effet se méprendre sur les intentions de Voltaire, ou tout au moins sur la portée de sa « philosophie ». Quelques mots ou expressions pris au hasard (« bien », « mieux », « meilleur des mondes possibles », « cause », « effet », « raison suffisante », etc.)  et répétés à l’envi particulièrement dans les premiers chapitres, sont autant d’effets de rhétorique qui inscrivent la démonstration métaphysique de Leibniz dans la parodie. Plus fondamentalement, sa réflexion sur la causalité porte Voltaire à vouloir changer le monde par une pensée de l’engagement et de l’action, qui discrédite les systèmes de pensée a priori, les postulats idéalistes, et plus généralement ce qu’on pourrait appeler « l’intellectualisme ».

S’il dénonce aussi sévèrement la philosophie optimiste, c’est que derrière son apparence rationnelle, elle serait responsable selon Voltaire d’une illusion métaphysique qui légitime le mal et l’injustice. Ce que l’auteur réfute dans les absolus spéculatifs, c’est bien leur prétention à imposer au monde un dogmatisme d’autant plus arbitraire qu’il est énoncé sans preuves et sans rationalité. Comme vous l’avez vu à de nombreuses reprises, Pangloss est à ce titre le type même de l’intellectuel qui a réponse à tout candide.1236196052.jpg(d’où son nom) et qui philosophe dans le vide. Son systématisme le porte à croire que « tout est au mieux » :

« Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles. »

« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux. »

Comme on le remarque ici (mais l’on aurait pu évoquer tant d’autres passages sur la légitimation de la guerre, de l’Inquisition, des fanatismes religieux, de l’esclavage, etc.), la faute morale de Pangloss tient à une erreur de départ : l’inspiration métaphysique de sa doctrine accrédite en effet des présupposés qui ne découlent d’aucune expérience. En fait, même si Voltaire ne l’a jamais vraiment avoué et a préféré se faire le porte-parole d’un certain déisme, il y a chez lui un rejet implicite de Dieu qui explique en partie l’antipathie répétée pour l’auteur de la Théodicée, le manichéisme de l’œuvre, et plus fondamentalement le rejet de toutes les doctrines métaphysiques, à commencer par la preuve cosmo-théologique de l’existence de Dieu chère à Leibniz. Mais en fait, comme nous allons le voir, c’est moins le philosophe allemand qui est visé que l’Occident judéo-chrétien dans son ensemble.

La spécificité du conte voltairien : de l’idéalisme métaphysique à l’idéalisme rationaliste

Qu’il s’agisse du paradis ethnocentriste et chimérique de Thunder-ten-Tronckh ou de l’optimisme aveugle de Pangloss, l’erreur de l’idéalisme métaphysique pour Voltaire est de réduire la réalité à une dimension illusoire et close sur elle-même qui subvertit le sens de l’histoire. Cette thèse nourrit dans le livre une vaste réflexion sociale à travers laquelle Voltaire ébranle les fondements idéologiques de l’Occident chrétien en le soumettant à une lecture politique. Les mots bien connus de Candide au chapitre dix-neuf expriment à cet égard le cri de révolte de Voltaire lui-même face au système de l’optimisme : « Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme. -Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. -Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal. »

En contrepoint de l’idéalisme métaphysique, c’est donc l’idéalisme rationaliste qui apporte le plus grand démenti à l’optimisme de Candide, et traduit le mieux le point de vue de Voltaire. Même le bonheur de l’Eldorado, trop utopique, ou l’apologue du derviche, trop spéculatif sans doute, ne sauraient pour l’auteur constituer une fin en soi de par leur présupposé idéaliste ou transcendantal. Comme le chapitre trente le suggère très bien, le véritable bonheur est à la fois « prise de conscience » et « crise de conscience » d’un système idéologique marqué par l’ancien régime. La fameuse phrase qui conclut l’odyssée de Candide (« Il faut cultiver notre jardin ») ébauche à la fois un principe de sagesse et de modération, et un principe d’économie politique très proche de « l’ordre naturel » des Physiocrates, basé sur le travail, l’échange et les lois de la nature. « Cultiver son jardin », c’est pour Voltaire refuser tout ce qui détourne l’homme de ses finalités concrètes. C’est en ce sens que ce conte philosophique redéfinit la place des hommes dans le monde selon une nouvelle vision politique qui fait de l’action la source du bonheur humain.

Une telle prise de conscience, nourrie de la pensée des Lumières, ne peut dès lors se comprendre qu’en replaçant Candide dans sa spécificité historique et idéologique : l’ouvrage reprend sur le plan narratif l’une des principales revendications de la bourgeoisie : accorder aux mérites personnels de l’individu plus d’importance qu’à la noblesse de naissance et aux spéculations métaphysiques, sources de dérives en tout genre. Cet aspect est essentiel pour appréhender la visée didactique de l’oeuvre comme roman d’apprentissage. Si les malheurs de la vie font l’éducation de Candide, le héros en ressort sans doute meurtri mais plus sage, au terme d’un parcours initiatique qui le révèle à lui-même, suivant la pédagogie habituelle des contes philosophiques voltairiens. C’est donc en fonction de cette acception qu’il convient de situer la « philosophie » de Voltaire du fait qu’elle marque l’émergence d’une nouvelle conception de l’homme et du monde.

Conclusion

Plutôt que de sacrifier le bonheur aux chimères d’un avenir utopique ou d’une quelconque Providence théologique, l’auteur de L’Ingénu invite davantage à une réflexion sur le rôle de l’intellectuel dans l’Histoire ; et s’il n’a pas vraiment renouvelé le contenu conceptuel de la philosophie, Voltaire en a cependant redéfini les enjeux politiques par une littérature du vécu et de l’engagement qui trouve son inspiration dans le changement social, la pression sur les opinions publiques et le refus des ethnocentrismes, chemin privilégié pour la quête de soi.

Copyright © mars 2009, Bruno Rigolt
Lycée en Forêt / Espace Pédagogique Contributif

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1. André Julliot, « Candide, un roman philosophique ? » in Analyses et réflexions sur Candide, Collectif, Ellipses, Paris 1995

2. Qu’il me soit permis de renvoyer le lecteur à ce magnifique texte de Leibniz :
[…] il faut reconnaître d’abord, du fait qu’il existe quelque chose plutôt que rien, qu’il y a, dans les choses possibles ou dans la possibilité même, c’est-à-dire dans l’essence, une certaine exigence d’existence, ou bien, pour ainsi dire, une prétention à l’existence, en un mot, que l’essence tend par elle-même à l’existence. D’où il suit encore que tous les possibles, c’est-à-dire tout ce qui exprime une essence ou réalité possibles, tendent d’un droit égal à l’existence, en proportion de la quantité d’essence ou de réalité, c’est-à-dire du degré de perfection qu’ils impliquent. Car la perfection n’est autre chose que la quantité d’essence.

Par là, on comprend de la manière la plus évidente que, parmi l’infinité des combinaisons et des séries possibles, celle qui existe est celle par laquelle le maximum d’essence ou de possibilité est amené à exister. Il y a toujours, dans les choses, un principe de détermination, qu’il faut tirer de la considération d’un maximum et d’un minimum, à savoir que le maximum d’effet soit fourni avec un minimum de dépense. […]

Par là, on comprend avec admiration comment, dans la formation originelle des choses, Dieu applique une sorte de mathématique divine ou de mécanisme métaphysique, et comment la détermination du maximum y intervient. Ainsi, en géométrie l’angle déterminé parmi tous les angles est l’angle droit. Ainsi un liquide placé dans un autre, hétérogène, prend la forme qui a le maximum de capacité, à savoir la forme sphérique. Ainsi encore et surtout en mécanique ordinaire, de l’action de plusieurs graves concourant entre eux résulte le mouvement par lequel en fin de compte se réalise la plus grande descente. Et de même que tous les possibles tendent d’un droit égal à exister, en proportion de leur réalité, ainsi tous les poids tendent aussi d’un droit égal à descendre, en proportion de leur gravité ; de même qu’ici se produit le mouvement dans lequel se remarque le maximum de descente des graves, de même le monde qui se réalise est celui qui réalise le maximum de possibles.

G. W. Leibniz, De la production originelle des choses prises à sa racine, textes réunis et traduits par P. Schrecker, Librairie philosophique J. Vrin, 2001, pp. 84 et s.

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EAF Classes de Première : « Candide » ou le combat des Lumières

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Candide ou le combat des Lumières

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Introduction

Publié anonymement à Genève en janvier 1759, Candide ou l’optimisme de Voltaire a emblématisé depuis sa parution le genre du conte philosophique. S’il prend la forme d’un violent réquisitoire contre la théorie leibnizienne de l’harmonie préétablie, force est d’admettre cependant que la critique voltairienne de la pensée de Leibniz se place davantage au niveau de la caricature que sur le plan du débat de concepts ou d’idées. C’est à juste titre qu’André Julliot faisait remarquer combien « nulle part dans ce roman il n’est question d’une pensée philosophique digne de ce nom […]. Les inepties proférées par Pangloss et les doutes non moins ridicules de Candide ne sauraient, en effet, concerner les thèses de Leibniz et encore moins leur ressembler »¹. Ces propos d’un philosophe illustrent à eux seuls la difficulté d’appréhender le texte voltairien selon l’acception conventionnelle du mot « philosophie » : savoir totalisant et questionnement abstrait visant à une interprétation globale du monde et de l’existence humaine.

C’est donc davantage sur le terrain politique et idéologique que celui de l’idéalisme philosophique qu’il faut envisager l’œuvre. En ce sens, Voltaire serait davantage un philosophe au sens moderne que le terme va prendre à partir des Lumières : dans cette perspective, le philosophe est celui qui par le développement du savoir et de la rationalité scientifique doit permettre une amélioration des conditions sociales et politiques. Il est essentiel de bien comprendre ce renouveau épistémologique à partir du dix-huitième siècle pour saisir à sa juste valeur la révolution sans précédent qu’a amenée le système de pensée de Voltaire. Aussi je vous propose dans ce support de cours de réfléchir à Candide selon une double perspective : la destruction d’un système métaphysique, et la justification d’une morale critique de la société.

Le système philosophique de Leibniz et son discrédit par Voltaire

Exposée en 1710 dans ses Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal, la théorie de Leibniz se fonde sur le concept d’optimisme ( « doctrine du meilleur »). Au dix-huitième siècle, il s’agit d’un néologisme dérivé du terme « optimum », superlatif de « bonum ». Philosophiquement parlant, l’optimisme se fonde sur une conception de la vie et de l’univers d’après laquelle tout est bien, ou le mieux possible grâce à une « harmonie préétablie » par Dieu : dans sa sagesse, « l’auteur des choses […] ne fait rien sans harmonie et sans raison » |source|. La question que pose Leibniz est donc la suivante : Pourquoi Dieu, par définition parfait, a-t-il créé un monde imparfait ? |source| La réponse proposée dans la Théodicée valorise le libre-arbitre des hommes : c’est en effet parce que Dieu les a voulu libres qu’ils peuvent faire le mal.

Mais ces « mauvaises » actions vont pourtant contribuer au perfectionnement du monde. Comme le dit Leibniz, « la limitation ou l’imperfection originale des créatures fait que même le meilleur plan de l’univers ne saurait être exempté de certains maux, mais qui y doivent tourner à un plus grand bien. Ce sont quelques désordres dans les parties, qui relèvent merveilleusement la beauté du tout; comme certaines dissonances, employées comme il faut, rendent l’harmonie plus belle » |source|. Le Mal est donc un moindre mal en vue d’un mieux : telle est la définition de l’optimisme. Chez Leibniz, la Théodicée constitue ainsi une réponse au débat philosophique sur l’origine du mal, le libre-arbitre de l’homme et l’idée d’harmonie universelle voulue par Dieu.

En délaissant intentionnellement cette grande question, éminemment philosophique, Voltaire a inscrit Candide dans un contexte beaucoup plus contingent et fantaisiste qui ne pouvait que discréditer, de par la simplification excessive et l’anticléricalisme implicite du texte, le concept d’optimisme². Faire de Pangloss le double de Leibniz, ce serait en effet se méprendre sur les intentions de Voltaire, ou tout au moins sur la portée de sa « philosophie ». Quelques mots ou expressions pris au hasard (« bien », « mieux », « meilleur des mondes possibles », « cause », « effet », « raison suffisante », etc.)  et répétés à l’envi particulièrement dans les premiers chapitres, sont autant d’effets de rhétorique qui inscrivent la démonstration métaphysique de Leibniz dans la parodie. Plus fondamentalement, sa réflexion sur la causalité porte Voltaire à vouloir changer le monde par une pensée de l’engagement et de l’action, qui discrédite les systèmes de pensée a priori, les postulats idéalistes, et plus généralement ce qu’on pourrait appeler « l’intellectualisme ».

S’il dénonce aussi sévèrement la philosophie optimiste, c’est que derrière son apparence rationnelle, elle serait responsable selon Voltaire d’une illusion métaphysique qui légitime le mal et l’injustice. Ce que l’auteur réfute dans les absolus spéculatifs, c’est bien leur prétention à imposer au monde un dogmatisme d’autant plus arbitraire qu’il est énoncé sans preuves et sans rationalité. Comme vous l’avez vu à de nombreuses reprises, Pangloss est à ce titre le type même de l’intellectuel qui a réponse à tout candide.1236196052.jpg(d’où son nom) et qui philosophe dans le vide. Son systématisme le porte à croire que « tout est au mieux » :

« Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles. »

« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux. »

Comme on le remarque ici (mais l’on aurait pu évoquer tant d’autres passages sur la légitimation de la guerre, de l’Inquisition, des fanatismes religieux, de l’esclavage, etc.), la faute morale de Pangloss tient à une erreur de départ : l’inspiration métaphysique de sa doctrine accrédite en effet des présupposés qui ne découlent d’aucune expérience. En fait, même si Voltaire ne l’a jamais vraiment avoué et a préféré se faire le porte-parole d’un certain déisme, il y a chez lui un rejet implicite de Dieu qui explique en partie l’antipathie répétée pour l’auteur de la Théodicée, le manichéisme de l’œuvre, et plus fondamentalement le rejet de toutes les doctrines métaphysiques, à commencer par la preuve cosmo-théologique de l’existence de Dieu chère à Leibniz. Mais en fait, comme nous allons le voir, c’est moins le philosophe allemand qui est visé que l’Occident judéo-chrétien dans son ensemble.

La spécificité du conte voltairien : de l’idéalisme métaphysique à l’idéalisme rationaliste

Qu’il s’agisse du paradis ethnocentriste et chimérique de Thunder-ten-Tronckh ou de l’optimisme aveugle de Pangloss, l’erreur de l’idéalisme métaphysique pour Voltaire est de réduire la réalité à une dimension illusoire et close sur elle-même qui subvertit le sens de l’histoire. Cette thèse nourrit dans le livre une vaste réflexion sociale à travers laquelle Voltaire ébranle les fondements idéologiques de l’Occident chrétien en le soumettant à une lecture politique. Les mots bien connus de Candide au chapitre dix-neuf expriment à cet égard le cri de révolte de Voltaire lui-même face au système de l’optimisme : « Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme. -Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. -Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal. »

En contrepoint de l’idéalisme métaphysique, c’est donc l’idéalisme rationaliste qui apporte le plus grand démenti à l’optimisme de Candide, et traduit le mieux le point de vue de Voltaire. Même le bonheur de l’Eldorado, trop utopique, ou l’apologue du derviche, trop spéculatif sans doute, ne sauraient pour l’auteur constituer une fin en soi de par leur présupposé idéaliste ou transcendantal. Comme le chapitre trente le suggère très bien, le véritable bonheur est à la fois « prise de conscience » et « crise de conscience » d’un système idéologique marqué par l’ancien régime. La fameuse phrase qui conclut l’odyssée de Candide (« Il faut cultiver notre jardin ») ébauche à la fois un principe de sagesse et de modération, et un principe d’économie politique très proche de « l’ordre naturel » des Physiocrates, basé sur le travail, l’échange et les lois de la nature. « Cultiver son jardin », c’est pour Voltaire refuser tout ce qui détourne l’homme de ses finalités concrètes. C’est en ce sens que ce conte philosophique redéfinit la place des hommes dans le monde selon une nouvelle vision politique qui fait de l’action la source du bonheur humain.

Une telle prise de conscience, nourrie de la pensée des Lumières, ne peut dès lors se comprendre qu’en replaçant Candide dans sa spécificité historique et idéologique : l’ouvrage reprend sur le plan narratif l’une des principales revendications de la bourgeoisie : accorder aux mérites personnels de l’individu plus d’importance qu’à la noblesse de naissance et aux spéculations métaphysiques, sources de dérives en tout genre. Cet aspect est essentiel pour appréhender la visée didactique de l’oeuvre comme roman d’apprentissage. Si les malheurs de la vie font l’éducation de Candide, le héros en ressort sans doute meurtri mais plus sage, au terme d’un parcours initiatique qui le révèle à lui-même, suivant la pédagogie habituelle des contes philosophiques voltairiens. C’est donc en fonction de cette acception qu’il convient de situer la « philosophie » de Voltaire du fait qu’elle marque l’émergence d’une nouvelle conception de l’homme et du monde.

Conclusion

Plutôt que de sacrifier le bonheur aux chimères d’un avenir utopique ou d’une quelconque Providence théologique, l’auteur de L’Ingénu invite davantage à une réflexion sur le rôle de l’intellectuel dans l’Histoire ; et s’il n’a pas vraiment renouvelé le contenu conceptuel de la philosophie, Voltaire en a cependant redéfini les enjeux politiques par une littérature du vécu et de l’engagement qui trouve son inspiration dans le changement social, la pression sur les opinions publiques et le refus des ethnocentrismes, chemin privilégié pour la quête de soi.

Copyright © mars 2009, Bruno Rigolt
Lycée en Forêt / Espace Pédagogique Contributif

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1. André Julliot, « Candide, un roman philosophique ? » in Analyses et réflexions sur Candide, Collectif, Ellipses, Paris 1995

2. Qu’il me soit permis de renvoyer le lecteur à ce magnifique texte de Leibniz :
[…] il faut reconnaître d’abord, du fait qu’il existe quelque chose plutôt que rien, qu’il y a, dans les choses possibles ou dans la possibilité même, c’est-à-dire dans l’essence, une certaine exigence d’existence, ou bien, pour ainsi dire, une prétention à l’existence, en un mot, que l’essence tend par elle-même à l’existence. D’où il suit encore que tous les possibles, c’est-à-dire tout ce qui exprime une essence ou réalité possibles, tendent d’un droit égal à l’existence, en proportion de la quantité d’essence ou de réalité, c’est-à-dire du degré de perfection qu’ils impliquent. Car la perfection n’est autre chose que la quantité d’essence.

Par là, on comprend de la manière la plus évidente que, parmi l’infinité des combinaisons et des séries possibles, celle qui existe est celle par laquelle le maximum d’essence ou de possibilité est amené à exister. Il y a toujours, dans les choses, un principe de détermination, qu’il faut tirer de la considération d’un maximum et d’un minimum, à savoir que le maximum d’effet soit fourni avec un minimum de dépense. […]

Par là, on comprend avec admiration comment, dans la formation originelle des choses, Dieu applique une sorte de mathématique divine ou de mécanisme métaphysique, et comment la détermination du maximum y intervient. Ainsi, en géométrie l’angle déterminé parmi tous les angles est l’angle droit. Ainsi un liquide placé dans un autre, hétérogène, prend la forme qui a le maximum de capacité, à savoir la forme sphérique. Ainsi encore et surtout en mécanique ordinaire, de l’action de plusieurs graves concourant entre eux résulte le mouvement par lequel en fin de compte se réalise la plus grande descente. Et de même que tous les possibles tendent d’un droit égal à exister, en proportion de leur réalité, ainsi tous les poids tendent aussi d’un droit égal à descendre, en proportion de leur gravité ; de même qu’ici se produit le mouvement dans lequel se remarque le maximum de descente des graves, de même le monde qui se réalise est celui qui réalise le maximum de possibles.

G. W. Leibniz, De la production originelle des choses prises à sa racine, textes réunis et traduits par P. Schrecker, Librairie philosophique J. Vrin, 2001, pp. 84 et s.

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La citation de la semaine… Marcel Proust…

« L’édifice immense du souvenir… »

« Un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. […]

Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray […] ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine proust.1236146581.jpgne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté […]. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.

Et dès que j’eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante […] aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre […] et avec la maison, la ville, la Place où on m’envoyait avant déjeuner, les rues où j’allais faire des courses depuis le matin jusqu’au soir et par tous les temps, les chemins qu’on prenait si le temps était beau […] et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé. »

Marcel Proust, « Combray », Du coté de chez Swann, À la Recherche du temps perdu, 1913

Cet épisode est en partie autobiographique : c’est lors d’une expérience en janvier 1909 que Proust, en trempant une biscotte de pain grillé dans du thé, songea à l’importance de la mémoire involontaire. Quelques années plus tard il amplifia considérablement ce souvenir au point d’en faire l’un des éléments déclencheurs de la Recherche du temps perdu. Dans ce passage en effet, le narrateur tente de reconstruire le « temps perdu » de l’enfance. Un épisode a priori banal et fortuit (la dégustation d’une « madeleine » trempée dans le thé) fait ressurgir en lui « l’édifice immense du souvenir ». C’est par la réminiscence involontaire que le narrateur retrouve des sensations et des sentiments qu’il croyait avoir à jamais oubliés. De dévoilement en dévoilement, c’est le « temps retrouvé » qui ressurgit… Ce passage à la fois psychologique et métaphysique a suscité un véritable « mythe », entre légende, littérature et psychanalyse. Dans un essai à juste titre célèbre (La Place de la Madeleine, Écriture et fantasme chez Proust) Serge Doubrovsky a d’ailleurs suggéré que le narrateur jouait ici avec les initiales : la Petite Madeleine serait-elle une signature inconsciente de l’auteur lui-même : Proust Marcel ?

Publication des supports de cours en ligne. Calendrier prévisionnel [4-11 mars 2009]

Classe de Seconde 12

  • Support de cours Séquence 6. Introduction à La Mort à Venise (Thomas Mann). Mise en ligne : jeudi 5 mars mis en ligne

Classes de Première

  • Support de cours Séquence 3 Candide ou le combat des Lumières : mise en ligne reportée au mercredi 4 mars mis en ligne
  • Support de cours Séquence 3 Le style de Voltaire dans Candide : mise en ligne vendredi 6 mars, 21:00
  • Support de cours Séquence 3 Voltaire et les représentations de la femme dans Candide. Stéréotypes et sexisme : mise en ligne dimanche 8 mars mis en ligne

BTS 2

  • Sociologie du détour : crise des modèles et ruptures sociétales : mise en ligne reportée au samedi 7 mars.
  • Entraînement BTS n°3 (« Faire voir ») : mise en ligne mercredi 11 mars mis en ligne
  • (« Faire voir ») L’image de soi à la télévision ; du corps biologique au corps médiatique : mise en ligne reportée après les vacances d’hiver.
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